C’est pas chic de sa part

Le 15 Février 1918

Petit Loul Aimé,

J’ai reçu hier soir ta mignonne lettre du 12. A mon avis, mon petit Loul aurait d’abord cueilli une grosse cerise et ensuite, comme j’aurais réclamé une grosse claque (que tu me dois), tu m’aurais appelé “Sale gosse” et j’aurais eu une autre cerise. Voilà comme j’arrange cela !!!

Tu me demandes ensuite si je veux une grosse claque pour ce que j’ai dit sur mon papier. Tu sais bien, petit Loul, que je ne demande que ça. Si seulement je pouvais l’avoir de vrai et tout de suite ! J’aime tant comme tu me bats !!!!!

Quel après-midi j’ai passé hier ! Je m’en rappellerai du vernissage. C’est moi qui ai été vernie. Je suis furieuse après Marie-Louise. Je suis rentrée dans une colère bleue comme celle que tu as eu l’autre jour. Je l’ai attendu de 4h moins le quart à 5h¼, pour rien. J’avais tellement froid, sur cette place, que je suis partie, sans quoi, j’y serais encore. Lorsque je vais la revoir, qu’est-ce que je vais lui passer.

C’est tout juste si je n’ai pas attrapé du mal. Je suis rentrée complètement gelée. Je ne pouvais pas arriver à me réchauffer. Avec ça que je n’étais pas très bien. Heureusement que j’avais un bon feu. Je me suis mise devant pendant ¼ d’heure et ça a été tout de suite mieux.

Ça fait rien, c’est pas chic de sa part. Elle savait que pour lui faire plaisir, j’avais accepté d’aller avec elle, au lieu d’aller au théâtre Antoine, elle aurait pu tout au moins me prévenir. C’est moi qui aurait été bien tranquillement aux Butors si j’avais su !

J’ai été chez la concierge de l’Opéra et je l’ai prié de lui dire lorsqu’elle la verrait que j’étais très mécontente après elle. Je ne lui écrirai pas. Si elle veut se faire pardonner, elle a qu’à le faire la première. C’est demain son anniversaire, et bien je ne lui souhaite pas, na !!!

Elle attendait un de ses filleuls cette semaine. Sans doute qu’il sera venu et qu’elle m’aura laissé froidement tomber. Eh bien non, je m’en fiche du filleul. Il me semble que comme amie, je passais avant et qu’un petit mot pour me prévenir n’était pas de trop. Vraiment, je ne suis pas contente.

A part ça, ça va.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon Loul Aimé une foule de tendresses avec une branche de grosses cerises en plus, pour le vilain papier.

Ta gosse qui t’adore,

Mino

PS : Bien des choses de ma part à Pierre.

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