Panne de frein

Le 12 Octobre 1917

Mon Loul Aimé,

Me voici de retour à Paris. Notre voyage s’est à peu près bien effectué. Nous sommes partis à 1h moins ¼ du Mesle et arrivés ici à 7h moins ¼. Nous avons eu très beau temps ce qui était très agréable. Comme ennuis, nous avons eu un pneu crevé et le frein qui ne marchait pas, aussi ce n’était pas drôle. Heureusement qu’il s’est détraqué qu’à Rambouillet. A un moment, sur la route, il y avait un tombereau dans le milieu, nous avons été obligés de monter sur le trottoir pour ne pas rentrer dedans.

Aussi tu vois d’ici l’émotion de ta pauvre mère. Elle disait : “Mais qu’est ce qu’il y a donc ? Papa, fait donc attention, tu vas nous faire verser.” Elle n’avait pas vu que le frein ne marchait plus, heureusement. Nous, nous nous en étions bien aperçues tout de suite, aussi on se tordait comme des petites folles.

A un autre endroit, nous nous étions trompés de route, il fallait faire machine arrière. Voilà la voiture partie à reculons, impossible de l’arrêter. Encore obligés de se cogner dans un trottoir pour nous arrêter. Là, Madame Sevette s’en est aperçue et tremblait comme une feuille. Elle était derrière avec Suzanne et Loulou. Moi, j’étais devant avec M. Sevette. Je n’avais pas peur du tout.

Ce qui m’effrayait le plus, c’est la descente de Versailles ou plutôt de St Cloud. Je me disais : “Comment va-t-on faire pour descendre ça ? Ça tourne tout le temps, pour peu qu’il y ait une voiture devant nous, et une venant dans l’autre sens, nous sommes fichus.” Enfin, nous nous en sommes très bien tirés, nous avons descendu un peu vite, mais sans accident. M. Sevette tenait son volant d’une main, le frein de l’autre et moi je faisais marcher la trompe. Arrivé en bas, Monsieur Sevette a été obligé de remonter l’autre route en face, nous allions tellement vite qu’il était pas prudent de tourner du côté du pont. Pour redescendre, machine arrière, nous avons été obligés de regrimper sur une terrasse de café. Tu vois d’ici dans quel état était Madame Sevette.

Nous sommes rentrés dans Paris par les quais, c’était plus prudent que le bois de Boulogne et l’avenue des Champs Elysées. Si jamais on avait rencontré une voiture, on serait certainement rentrés dedans. Enfin, nous sommes arrivés chez Loulou sains et sauf et à la maison de même. Je pense qu’il en a été de même pour tes parents. Je vais tantôt chez Loulou où je dois les retrouver.

Mon père m’a très bien reçu et ne m’a rien dit du tout. Il commençait à s’inquiéter en ne me voyant pas le soir en rentrant. Enfin, je suis arrivée un quart d’heure après lui.

Avant mon départ, j’ai reçu ta mignonne lettre du 8 où je vois que tu as fait un voyage bien désagréable.

Mon père m’a demandé combien de temps tu étais resté chez toi en passant par Paris. J’ai dit que tu n’avais que passé la nuit et reparti le lendemain matin pour le front. De cette manière, tu n’avais pas eu de temps pour venir le voir.

Il est bien regrettable que je n’aie pas été avec toi dans ce compartiment où tu étais seul, j’aurais pu te réchauffer un peu en savourant de bonnes cerises.

Tu m’excuseras de t’écrire sur des petits bouts de papier comme ça, mais c’est toute ma richesse comme papier-à-lettre, ma boite est dans la malle. Aussi il faut que j’attende.

Nous avons rapporté 5 poulets, 100 oeufs, 15 livres de beurre, une caisse de pommes et une bouteille de crème. Mon poulet, nous l’avons mangé à midi. Mon père l’a trouvé délicieux. Il venait de la basse-cour de Monsieur Lemonnier. Ceux de tes parents avaient été achetés au marché.

J’espère avoir une mignonne lettre ce soir ou demain matin.

Dans cet espoir, je termine en t’envoyant mon tout Petiot une foule de caresses de ta sale gosse qui ne fait que penser à toi,

Mino

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