Dent à pivot

Au reçu de cette lettre, écrire au 112 av. Ledru Rollin

Le 10 Septembre 1917 – 11h½

Petit Loulou Aimé,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 7 et je suis très heureuse à la pensée que tu pourrais peut-être revenir ici. Surtout petit chéri, il ne faut pas que ça te fatigue, et que tu restes toute une nuit et une journée dans le train comme la dernière fois. Si tu me prévenais à l’avance, je pourrais très bien rentrer à Paris. Mon intention est de rentrer vers le 20, aussi à quelques jours près, cela n’aurait pas beaucoup d’importance. Je me porte très bien maintenant et je n’ai plus beaucoup besoin de bon air. Cela fait 20 jours juste que je suis là, il me reste donc plus que 10 jours pour faire le mois.

Ce matin, nous parlions justement départ avec Madame Fleuriel. Ses cousines ont l’intention de partir le 20. Moi, Madame Fleuriel me demandait quand je comptais partir. Je lui ai répondu : “Je ne sais pas au juste, ça dépendra de la permission de mon fiancé. Mais ça ne sera pas plus tard que Lundi 24.” Mon père m’avait dit qu’il viendrait me chercher le Vendredi 21 et que nous serions partis ensemble le 24. Mais ça sera peut-être changé d’ici-là. Enfin de toutes façons, je te le dirai. Cela dépend aussi de la date de ta permission.

Ce matin, monsieur Fleuriel est parti. Aussi personne n’est très gai ici.

Hier, comme je te l’ai dit, j’ai été passer mon Dimanche à la ferme. Ces braves gens étaient en branle-bas pour me recevoir. Ils avaient tué 1 poulet et 1 lapin, rien que ça ! Nous avons été à la messe, Yvonne, Henri, la fille Bois et moi. Yvonne avait tout le temps le fou-rire. Moi, ce qui me semblait drôle, c’est d’entendre un trombone dans une église.

1 heure ½

Mon Loul chéri,

En déjeunant, il vient de m’arriver un accident assez désagréable. En mangeant du gigot, j’ai cassé ma dent à pivot. Je suis bien ennuyée ! Malgré moi, je suis obligée de rentrer à Paris, je ne peux rester ainsi. Je risque d’attraper du mal. La porcelaine est tombée sans s’abîmer. Il faudrait qu’elle soit re-scellée. Je vais donc partir d’ici jeudi 13 à 7h½ du matin pour arriver à Paris à 3h et quelque chose.

Je reste encore deux jours pour attendre tes lettres, ranger mes affaires et avoir du beurre de la ferme.

Au reçu de cette lettre, écris-moi à Paris.

Ce qui m’ennuie beaucoup, c’est que mes lettres sont bien longues à te parvenir et que tu ne sauras pas cette nouvelle tout de suite. Vraiment, je n’ai pas de chance. Enfin, c’est un bien petit malheur, à côté du gros chagrin de l’autre Dimanche lorsque je te savais à Paris.

Ça me procurera peut-être le plaisir de te voir avant ta permission. Tu me disais justement ce matin que si tu pouvais t’absenter, tu viendrais ici. Tu pourras donc encre plus facilement venir à Paris.

Je te quitte petit Loul en t’envoyant mes plus tendres baisers.

Celle qui t’adore,

Germaine

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