Des larmes de gratitude !

Le 17 Août 1917

Mon petit Loul Aimé,

Comme je le pensais, à mon retour du bois, j’ai trouvé ta mignonne lettre du 14. Mon petit chéri, je suis très contente que tu ne t’en sois pas fait pendant que j’étais fatiguée, comme cela n’aurait pu me guérir, c’était inutile que tu le saches.

Maintenant, je vais très très bien, un petit peu énervée… mais ce n’est pas très grave. Je m’agace en ce moment, car mon départ est fixé pour Mardi 21 et je n’ai rien de prêt. Ce matin, j’ai piqué une crise de nerfs sur une jupe que je transformais, ça n’allait pas assez vite à mon gré, aussi je voulais tout envoyer promener, heureusement que la calme Suzanne m’a un peu raisonné. Ce qui m’a fait le plus de bien, c’est une bonne douche !!!

Malgré tout, tantôt, ça recommence encore un peu. Mon après -midi ne sera jamais assez longue pour faire toutes mes courses. Ecoute plutôt. Après ma lettre, il faut que j’écrive à Marie-Louise pour lui donner ma nouvelle adresse, que je m’habille, que j’aille à la gare Montparnasse retenir ma place, que j’aille au magasin acheter diverses choses qui me manquent, que j’aille à la maison chercher des rubans pour mettre sur un chapeau, que j’aille goûter chez Mme Schwab, que je finisse ma jupe, et ce soir en rentrant, me laver un corsage.

Aussi pour une personne qui est si maîtresse de ses nerfs, il y a de quoi s’agacer, et il est déjà 2h20.

Nous avions à déjeuner Gabrielle et sa mère et le petit filleul à Suzanne. Tout à l’heure pour me remettre, il était derrière mon dos à fouiller les papiers qui sont sur le bureau. Heureusement, il vient de s’en aller avec Suzanne. Tout le monde est parti, je suis toute seule avec Nounou et Toto.

Donc je te disais que je pars Mardi 21 à 8h35. Je n’arriverai qu’à 18h04. Tu parles d’un voyage. J’en ai chaud d’avance. Un train omnibus depuis Paris et je change 2 fois. 1ère à Condé sur Huisne où je reste 2h, ensuite à Mortagne où je reste 1 heure. Je vais arriver fraîche au Mêle !!! Moi qui déteste les trains omnibus, je suis servie. Cette ligne est très mal desservie. Il n’y a qu’un train par jour, donc je n’ai pas à choisir. Pour faire 186 kilomètres, je mets presque 10 heures. C’est gai ! Enfin, ce qui me console, c’est que pour revenir, ça met moins de temps.

Je retourne demain Samedi à la maison, je ne sais pas à quelle heure, mais je ne resterai certainement pas à coucher chez toi, pour la cause ton oncle Louis vient passer sa permission de 8 jours chez toi, aussi lorsque j’ai su ça, j’ai dit que je m’en irai dans la journée.

Suzanne m’a dit que ça ne faisait rien, que ton oncle coucherait dans la lingerie. Je ne veux pas et je trouve inutile de rester à coucher Samedi soir puisqu’il faudra de toutes façons que je rentre Dimanche matin. Nous devons aller mon père et moi au cimetière dans l’après-midi et Lundi, il me faut ma journée à la maison pour faire malle, donc inutile de déranger pour une nuit. Je m’en irai de chez toi avec beaucoup de peine et de regrets, je suis si bien et si gâtée, je suis si peu habituée que l’on s’occupe de moi ainsi.

Voici huit jours ce soir que je suis là, comme ils ont passé vite à côté de mes longues journées de solitude !!! Je peux dire que j’aurai pour tes parents une reconnaissance éternelle !!! Ils m’ont sauvé la vie, j’étais dans un si triste état que si j’étais restée encore longtemps ainsi, j’aurais perdu ma santé. Rien que d’y penser, je ne peux m’empêcher de pleurer et ce sont les premières larmes que je verse depuis que je suis ici. Mais ce sont de douces larmes, des larmes de gratitude !

Hier soir, j’ai été à la maison et bien personne ne me reconnaissait tellement j’avais bonne mine. On m’a demandé où j’étais à la campagne !!! L’air de la campagne est la cité Nys pour moi. Donc c’est forcé que je me porte bien ici, personne crie après moi, au contraire, on me gâte !

Nounou vient de m’appeler à l’instant pour me donner ta lettre du 15 qui vient d’arriver. En effet, vous aurez bien mérité que votre escadrille soit citée, vraiment vous avez été bien éprouvés !!! Vous méritez encore plus d’aller au repos, après tant de travail, un peu de calme n’est pas volé.

Là dessus, je te quitte mon Loul chéri pour voler à mes sales courses ! Au reçu de cette lettre, Dimanche donc, en m’écrivant ce jour là-bas, j’aurai juste une lettre pour mon arrivée Mardi. Celles que je recevrais ici me seront transmises. Tu sais, ça ne me sourit toujours pas d’aller si loin de Paris, surtout que tu vas au repos, il peut des fois se présenter une occasion et si je ne suis pas là… Quel cafard alors ! Je ne resterais pas longtemps 3 semaines au plus, mais pas 1 mois.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon adoré les plus douces caresses de ta féroce,

Mino

M’écrire au reçu de la lettre à cette adresse :
Mlle Bertin
Chez Madame Fleuriel
St Julien
par Le Mêle-sur-Sarthe
Orne

PS : Toute la famille m’a prié de bien t’embrasser, y compris Gabrielle et sa maman.

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