“Envoyez-là moi”

Le 14 Août 1917

Mon Loul Chéri,

Je viens de recevoir ta mignonne lettre du 12. C’est moi qui ai été raser Nounou pour qu’elle aille voir au bureau si le courrier était arrivé. J’ai eu raison puisqu’il y avait ta 1ère lettre qui est venue directement. Tu peux être heureux mon Loul chéri, et bien tranquille. Je suis si bien ici. Gâtée comme une princesse. Je voudrais que ça dure comme ça tout le temps. Je suis si tranquille. Comme ça me semble bon, moi qui était si seule !

Je vais déjeuner, à tout à l’heure mon chéri.

Me revoici. Je ne sais ce que je fabrique le matin, mais c’est tout juste si j’arrive à être prête à midi. Tout à l’heure, j’ai fini ma toilette comme midi sonnait. Aussi, je n’ai eu que le temps de t’écrire un tout petit mot. Je viens de manger encore comme six. L’appétit est revenue, aussi ça va très bien.

Je vais aller voir mon père tantôt. Cela ne me fait pas sourire, mais il faut bien que j’aille lui dire bonjour sans quoi il dirait que je ne m’occupe plus de lui. J’ai aussi diverses affaires à prendre.

Ce matin, Suzanne a reçu une lettre d’Yvonne Clochez. Elle m’attend avec impatience. Depuis le commencement de sa lettre jusqu’à la fin, elle ne fait que répéter : “Envoyez-là moi.”

Son oncle Bois ne peut me prendre chez lui à cause de la moisson qui est commencée, mais Yvonne a des amis de Paris qui sont venus s’installer là-bas, la dame se ferait un plaisir de me prendre en pension, ce sont des voisins. Aussi, elle a dit que je serai souvent avec elle. Mais cette dame doit attendre le retour de son mari pour lui demander son avis. Donc elle ne donnera la réponse que demain Mercredi. D’ici qu’Yvonne récrive, cela va demander la fin de la semaine.

Ça m’ennuie un peu de m’en aller à présent, si jamais tu venais !!! Et que je ne sois pas là !!! J’en aurais un remord fou. Il est vrai que ce n’est pas très loin, tu pourrais m’envoyer une dépêche et je rentrerais aussitôt. Suzanne et tes parents aussi me conseillent de m’en aller. Que ma santé le demande et qu’en somme, si tu ne viens qu’au mois d’Octobre, j’aurais grandement le temps d’en profiter. Mon Loul chéri, que me conseilles-tu ? Je sais très bien que tu vas me répondre : “Il faut y aller”, mais bien franchement, penses-tu venir et surtout cela ne retarderas pas ta permission ? J’ai tellement peur que ta demande réussisse et que je ne sois pas là. Enfin, je ne serais quitte que pour revenir.

Yvonne te traite de flemmard !!! Pauvre chéri ! J’oubliais aussi de te dire que j’ai reçu hier soir ta lettre du 10 renvoyée de la maison. Maintenant, j’ai mon compte, il ne m’en manque plus. Dans cette lettre, tu me dis que tu as reçu plusieurs lettres et que tu vas être obligé de prendre ton courage à deux mains pour répondre. Mon pauvre chéri, ce n’est pas fini, tu vas certainement recevoir encore beaucoup de lettres pour ta citation. Si tu as besoin d’un secrétaire, il ne faut pas te gêner, bien qu’écrivant fort mal, je me ferais une joie d’aller remplir ce rôle. Bien que cela ne me plaise pas beaucoup, je ferais ça avec plaisir pour être près de toi.

Je te pardonne de ne pas m’avoir écrit après une pareille mission. Je n’ai même pas à te pardonner, tu as très bien fait. Je comprends combien tu devais être fatigué après ce long moment d’attention. Mon pauvre chéri, il serait temps que tu ailles au repos, ça te ferait du bien.

Sur ce, je te quitte pour aller voir mon noble père. Je suis toute seule avec Nounou.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je te quitte mon Loul en t’embrassant aussi tendrement que je t’aime,

Mino

 

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