On tiendra et on s’aura

Le 21 Juillet 1917

Petit Loul Aimé,

J’ai reçu hier au soir comme je le pensais ta gentille lettre du 18 et ce matin, celle du 19. Aussi je suis très contente !

Mon pauvre chéri ! Quel mauvais sang je te fais faire ! J’ai honte de moi ! Je suis une bien vilaine Mino qui ne mérite pas son nom. Je n’aurais pas du te dire que j’avais pleuré. D’habitude, je ne te le dis pas, parce que je sais que cela te fait de la peine. Mais l’autre jour, il faut me pardonner, j’étais si triste que je n’ai pas eu le courage de te cacher mon chagrin. Tu sais, il y a des moments où c’est bien dur à la maison.

Ainsi, Dimanche, mon père voulait absolument que je sorte, et moi je n’y tenais pas du tout. On dirait que je le gène lorsqu’il est là. Sortir, c’est très bien lorsqu’on a un but, mais sortir toute seule le Dimanche sans savoir où aller et avoir l’air d’un corps sans âme, cela m’énerve joliment. Aussi, c’était au dessus de mes forces. J’ai pleuré. Alors après, mon père disait : “Tu diras après que c’est moi qui t’empêche de sortir, mais va donc faire un tour.” Et tout le temps comme ça, moi qui avait envie de rester tranquille.

A côté de ça, lorsque je voudrais sortir, lui, ça ne lui plait pas. Enfin, comme tu dit, il faut se cramponner, mais c’est pas facile. Si tu étais à ma place (ce que je ne voudrais pour rien au monde), tu verrais qu’il y a des moments où on ne peut pas. Personne ne peut s’imaginer la patience que j’ai. Moi qui en ai pourtant bien peu, un rien me met tout de suite les nerfs en pelote.

Si j’en ai tant, c’est grâce à toi. Car si je ne t’avais pas, il y a longtemps que je ne serais plus à la maison et que je serais morte. Ce qui me met en rage, c’est que je pourrais être si heureuse avec toi et que je suis obligée de vivre ici où je suis si malheureuse et tout ça à cause de la guerre.

Oh ! Cette guerre, elle pourra dire qu’elle m’en aura fait faire du mauvais sang. Enfin, elle ne durera pas tout le temps. Il faudra bien que ça finisse. Aussi, là, ça sera les bons jours et c’est cette pensée qui me donne beaucoup de patience. Il faut tenir, là est la grande question. On tiendra et on s’aura. Voilà la devise. D’ailleurs, j’espère bien qu’il va retourner à son bureau Lundi, et être ensemble qu’aux repas et la soirée, c’est plus supportable. Tu sais, ça fait huit jours qu’il est là du matin au soir, et bien je m’en aperçois. Mes nerfs surtout s’en ressentent. Si le médecin me voyait en ce moment, il m’ordonnerait certainement une douche glacée tous les matins.

Hier, j’ai fait ta commission. Ta mère était très contente d’avoir des photos à donner. Tout le monde les a trouvé superbes. Suzanne croyait que c’était une photographie de la cathédrale de Reims dont tu avais parlé dernièrement. Il parait que cette photo a été prise récemment par toi. Nous n’avons pas fait de bicyclette, Loulou était souffrante.

A part ça, rien à te dire. Je te quitte mon Loul, voici midi qui sonne.

En espérant que mon message te trouvera en bonne santé et en te demandant pardon de t’avoir donné des inquiétudes à mon sujet, je termine en t’envoyant mon mignon chéri mille tendres baisers de ta gosse qui t’adore,

Mino

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