Défilé du 14 Juillet 1917

Le 14 Juillet 1917

Mon petit Coco chéri,

Quelle journée ! Ce matin, je me suis levée à 6 heures afin d’aller voir la revue. C’est pas souvent que ça m’arrive de me lever si tôt. Enfin, c’est pas tous les jours le 14 Juillet. J’ai été d’abord faire mon marché, comme les troupes devaient défiler à 9 heures. Plus tard, il m’aurait été impossible de le faire.

Donc à 7 heures, j’étais au marché, ensuite je suis rentrée à la maison et j’ai été chercher Germaine pour qu’elle vienne avec moi voir le défilé. Cette demoiselle avait la flemme. Elle était au lit et n’a pas voulu venir avec moi. J’ai donc été obligée d’y aller seule. Je suis revenue à la maison pour voir si j’avais une lettre de toi, mais le facteur était passé et ne m’avait rien apporté. De là, j’ai été chercher une place dans le faubourg afin de bien voir. C’était assez difficile car il y avait beaucoup de monde. Il était 8hm¼.

plan excelsior-14-07-17

Là, j’ai vu Poincarré qui passait en voiture et qui se rendait seulement à la revue. C’est la première fois que je le vois de si près.

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Ensuite, je suis arrivée à me trouver une très chic place, juste au bord du trottoir derrière la haie des artilleurs et j’ai attendu exactement 1 heure. Heureusement qu’il y avait les coucous pour me distraire. Mais les 150 annoncés n’ont pas pris l’air. Il ne faisait pas beau. Beaucoup de nuages, de vent et entre autre une petite averse pépère. Heureusement que derrière moi j’ai eu une dame très complaisante qui m’a abrité sous son parapluie. Sur les 150 coucous, j’en ai vu que 13. Ça faisait quand même très chic, surtout qu’il y avait de gentils petits spads.

Enfin à 9hm5minutes, les gardes municipaux ont fait leur apparition. Ensuite venaient les poilus. Que d’applaudissements, que de fleurs, c’était épatant. Ils étaient superbes avec leurs vieux drapeaux tout en loques. C’était très très imposant !!!

Drapeau_du_66-wikipedia
Autochrome pris le 14 juillet 1917

Mille fois plus joli que le défilé des Américains. Ils peuvent dire, nos braves poilus, que les parisiens leur ont fait un accueil enthousiaste. Pour ma part, je les ai fort applaudis. J’en ai mal aux mains, tant je tapais fort et tout le monde comme moi. J’ai mal à la gorge aussi d’avoir crié : “Vive les poilus, Vive les chasseurs, Vive les artilleurs” et encore plus fort que tout “Vite nos aviateurs ! Vive nos As !!!”

Malheureusement ces derniers étaient en bien petit nombre, une vingtaine seulement et avec ça, pas de Guynemer. On nous avait pourtant bien promis que ça aurait été lui qui porterait le drapeau de l’escadrille. Il y avait bien un drapeau, mais celui qui le portait n’était même pas un aviateur. Ça, ça m’a fait rager car j’aurais bien voulu le voir.

aviateurs 14-07-17

 

Je ne sais si c’était à l’occasion du 14 Juillet, mais j’ai eu un succès fou. Figure-toi (surtout ne soit pas jaloux), qu’il y a un poilu qui conduisait une mitrailleuse sur un mulet qui a planté tout là et qui sortant des rangs est venu près de moi et s’est mis à dire : “Elle est trop mignonne cette gosse-là, il faut que je l’embrasse.” Naturellement je n’ai pu refuser. Aussi tu parles, quelle ovation dans la foule : “Vive le poilu ! Vive la petite parisienne !”. “C’est très bien ça, vous applaudissez tellement avec votre coeur que l’on ne peut pas faire autrement que d’être touché.” Rien que ça, que des compliments ! Je ne savais plus où me mettre.

Et ce n’est pas tout. Un clairon m’a fait parvenir son adresse soi-disant que je serais pour lui la marraine rêvée. Le pauvre garçon a le temps d’attendre.

Léon Talvard

Plusieurs chasseurs m’ont fait cadeau de roses magnifiques. Un d’entre eux m’a dit : “Rien que pour une jeune fille comme vous, nous nous ferions tous tuer.” Les roses, je les ai données à d’autres un peu plus loin. Et tout le temps comme ça. Il y avait une dame près de moi qui disait : “Vraiment, voilà une jeune fille qui a du succès !” Entre autres, j’avais une jeune fille à côté de moi qui tendait la main pour avoir une poignée de main d’un poilu, mais jamais rien, c’était les miennes qu’ils venaient chercher. Aussi faisait-elle un sale oeil !

Le défilé a duré une heure , 1h un quart. Il y avait parait-il 8000 hommes. Quelle foule pour rentrer à la maison ! Surtout que dans l’avenue, on avait installé des bancs avec des planches. Enfin j’ai pu regagner la maison. Et j’ai regardé par la fenêtre la foule, mais voilà que j’ai aperçu la concierge avec une lettre de deuil, aussi j’ai bondi dans l’escalier et j’ai eu ta mignonne lettre du 11. Je suis contente que tu aies eu de mes nouvelles tout de suite après ton retour, comme ça, le temps a du te sembler un peu moins long. Que veux-tu mon chéri, il ne faut pas te désoler sur ma situation. Elle est bien triste, ça j’en conviens, et je comprends combien cela doit t’ennuyer de me savoir ainsi, mais puisqu’il n’y a rien à faire pour le moment. Il faut que ça soit moi qui ai beaucoup de courage pour attendre. C’est dur, mais j’espère y arriver.

Tant qu’au joli nom dont il nous a gratifié, c’est mufle. C’est joli, n’est-ce pas ?

Là dessus, je te quitte. Je ne sais pas au juste ce que je vais faire pendant ces 2 jours mais je suis sûre de bien m’ennuyer.

En espérant que tu es en bonne santé, je t’envoie mon petit Loul chéri une foule de doux baisers de celle qui ne vit que pour toi,

Mino

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