Le grand film “Nos As”

Le 29 Juillet 1917

Petit Lou Aimé,

J’ai reçu hier tantôt ta mignonne lettre du 26. Je suis contente que mon modeste cadeau t’ait fait plaisir. Tant qu’à dire que je te gâte, c’est bien peu de chose à côté de toi pour moi. Tu n’as rien à dire.

Petit Lou, tu me fais toujours des peurs bleues. Ainsi je lis : “Une triste nouvelle à t’apprendre.” Là-dessus, comme c’est dans le bas d’une page, je n’ose plus tourner de peur qu’il te soit arrivé quelque chose. Enfin je tourne et qu’est-ce que je vois, qu’il s’agit d’Arthur le corbeau de malheur. Ce n’est pas une grande perte puisque cette bête porte malheur. Aussi, cela m’a fait rire. C’est le système André de Lorde du Grand Guignol. Il vous annonce une chose terrifiante et il se tord en vous le disant. Grand taquin !

Ça me fait penser, j’ai oublié de te dire que Dimanche dernier, j’ai été avec Germaine voir à l’Ambigu le grand film “Nos As”. C’est très très intéressant. On voit beaucoup d’escadrilles au front, mais surtout de bombardements et de chasses. J’ai vu la fameuse escadrille des cigognes. Quels petits appareils ils ont ! Je suis sûre qu’ils te plairaient ! J’ai vu Guynemer, mais très peu, au moment où il est pris, il se sauve. Il ne veut pas se faire voir. Un que j’ai bien vu, c’est le (je ne me rappelle plus si c’est capitaine ou commandant) enfin, je me souviens du nom le…… Brocard. Celui dont Pouchelle parle tant !

Brocard-cigogne

Il avait un chic petit spad tout ce qu’il y a de petit. Je suis certaine que ce film t’aurait fort intéressé. Moi, je suis très contente de l’avoir vu. Ce qui ne me plaisait pas, c’est que l’on a oublié les appareils de reconnaissance.

Aujourd’hui Dimanche je reste au 112. Il fait très vilain temps depuis ce matin. Nous avons eu un gros orage avec des grêlons gros comme des oeufs de pigeons. Cette nuit, nouvelle alerte d’avions sur Paris, un peu plus tard que la nuit dernière. Minuit ½ et ça a fini à 1 heure. Toujours rien. Ils commencent à nous embêter ces sales boches, il y avait longtemps qu’ils n’étaient pas venus. sans doute un orgueilleux qui veut dire qu’il est tout de même arrivé à Paris. J’espère que cette nuit nous allons dormir tranquille.

Hier soir, Pierre est venu nous dire bonjour, sa permission tire à sa fin, il s’en va ce soir. Il m’a demandé si tu n’avais pas dit avoir reçu dernièrement une lettre de lui. Ma foi, non, je ne suis pas au courant. Je crois qu’il est question de son emploi après Lyon, mais je ne suis pas sûre.

Dis Lou, je n’ai toujours pas reçu ta lettre du 20. Dans cette lettre, tu devais certainement me répondre à diverses questions que je t’avais posé et cela m’intéresse beaucoup d’avoir les réponses. Je t’avais demandé si tu espérais réussir sur Nieuport et si cela demanderait beaucoup de temps pour être nommé ? Si tu viendrais t’entrainer, et où, au Plessis ? Tu m’excuseras petit chéri de te faire écrire deux fois la même chose, mais puisque je n’ai pas reçu ta lettre, je ne sais rien.

Tu m’excuseras aussi de t’écrire de cette façon sur une carte-lettre, mais je n’ai pas d’autre papier et il me semble que je t’ai dit que voilà plusieurs jours que je ne suis pas sortie.

A part ça, plus rien de neuf à te dire.

En espérant que tu te portes toujours bien, et que tu t’ennuies pas trop, je t’envoie mon adoré de câlin, des baisers de ta sale gosse qui ne fait que penser à toi,

Mino

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