Comme je suis sotte

Le 15 Juin 1917,

Mon petit Coco chéri,

J’ai reçu hier soir ta gentille lettre du 12. Tu m’as fait bien rire avec ton coucou. Je ne vois pas très bien des armoires à glace, un piano et un phonographe dans une carlingue !!! Autant faire, je préfèrerais une chambre complète, mais à condition que ce soit moi qui l’habite à la place des colis. N’es-tu pas de mon avis, dis Lou ?

Tu vas voir comme je suis sotte. Je ne savais pas comment se tournaient les aiguilles de ta mignonne montre. J’étais très ennuyée de la voir marcher mais pas à l’heure qu’il fallait, et je n’osais pas y toucher de peur de l’abimer. Je pensais bien qu’il fallait tirer sur le remontoir, comme la tienne, mais comme rien ne bougeait, je croyais que c’était un autre système. Suzanne m’avait dit : “Ça ne doit pas être par là, il doit y avoir un truc. N’y touchez pas et allez plutôt demander conseil où vous l’avez acheté.” Moi, ça m’ennuierait.

Hier après-midi, j’ai recommence l’expérience. J’ai tiré sur le remontoir et ça a très bien marché. C’est tout comme la tienne. Ça m’étonnait aussi. C’est tout simplement qu’elle est un peu dure, car pour arriver à ce résultat, je me suis cassé l’ongle du pouce, mais à la longue, ça se fera. Tu vois comme je suis calée ! Pas savoir faire tourner des aiguilles à une montre. C’est honteux ! Enfin, ça me console, Suzanne n’en savait pas plus que moi.

Tantôt, je vais chez Loulou. J’ai oublié de te dire qu’elles m’ont donné de très jolies dentelles pour me faire du linge. Aussi, me voilà beaucoup d’ouvrage sur la planche.

Sur ce, je te quitte pour m’habiller. En espérant que tu te portes toujours bien, je termine mon Loul Aimé en t’embrassant bien férocement, non, je me trompe, bien bien tendrement. Celle qui t’aime follement,

Mino

PS : Le livre que Marie-Louise m’a prêté est “La Lumière qui s’éteint” par Rudyard Kipling. Ça n’a rien de gai, mais c’est très joli.

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