Le 30 Mai 1917

Mon petit Coco chéri,

J’ai reçu hier soir deux gentilles lettres de toi du 26 et 27. Je suis désolée de savoir que tu repars tout de suite, moi qui me faisait une joie en pensant que tu serais près de Paris et que je pourrais aller te voir ! Enfin, pas de chance pour moi ou plutôt, pas de chance pour nous.

Je n’ai pas reçu les photos dont tu me parles. Ça sera sans doute pour aujourd’hui, à moins qu’elles aient été supprimées par la censure. Tu m’excuseras de t’avoir écrit si peu hier. Maire-Louise voulait que je vienne à 2h, aussi tu penses s’il fallait que je me dépêche, surtout que ce n’est pas là. Avec toute ma meilleure volonté, je suis arrivée à 2h½.

Je l’ai trouvé mieux. Elle était en train de pianoter une valse intitulée “Loin de toi“. Tout à fait de circonstance.Aussi, je lui ai dit que si j’avais su, je ne me serais pas tant dépêchée.

Nous avons été changer la bicyclette. Quelle partie de fou rire ! D’abord, il a fallu la descendre du 6e, c’est pas une petite affaire. A chaque palier, on s’arrêtait pour rire, aussi cela a bien demandé un bon quart d’heure. Ensuite, il nous a fallu installer la bicyclette dans un sapin. Le vieux cocher ne bougeait pas de son siège, il nous donnait des conseils et c’est tout. Ensuite, après l’avoir calée tant bien que mal, Marie-Louise avait la frousse qu’on lui rabotte les roues.

Enfin, nous sommes arrivées sans encombre rue Meslay, chez le fabricant. Voilà que là, la bonne femme nous a fait un plat, soi-disant que la bécane avait roulé. On l’aurait boulotté, après tout le mal qu’on s’était donné ! C’est tout juste si on veut lui changer. C’est pas là que j’enverrais quelqu’un pour acheter une bicyclette. On n’est pas assez aimable dans la maison. Maire-Louise va écrire à Espierre de la manière qu’elle a été reçu, comme c’est lui qui l’a acheté, il se débrouillera.

Ça me fait penser qu’il n’est reparti que le lundi matin (il était arrivé le Dimanche à 13h). Aussi Marie-Louise ne se plaignait plus de trop, surtout que la permission de 7 jours est pour le 1er Juillet.

En sortant, de chez Deprez, nom du marchand de bécane, j’ai failli passer sous un fiacre, il s’en est fallu de bien peu. Heureusement, il n’en est rien, je suis toujours avec mes deux jambes et mes deux bras intacts, et pas une écorchure. Voici comment cela s’est fait.

Nous traversions les boulevards devant la porte St Martin. Marie-Louise me donnait le bras, nous causions bien gentiment. Elle me racontait les projets d’Espierre pour après la guerre. Quand tout à coup, elle s’agrippe à mon bras, me pince et se met à crier. Je croyais qu’elle se trouvait mal et au lieu de regarder à ma droite, je la regarde au même moment, je tourne la tête et je sens quelque chose de chaud me frôler la figure. A ma grand stupéfaction, je vois un cheval ou plutôt la tête. Je ne sais comment j’ai fait, j’ai pivoté sur mes talons juste à temps pour laisser passer le fiacre. Mais j’étais devenue blanche comme un linge et je ne sentais plus mes jambes. Ça a été plus vite fait qu’à raconter.

Après, nous avons ri, mais il n’y avait franchement pas de quoi. A la vitesse où il allait cet idiot-là, j’aurai pu m’aplatir par terre. Tu ne vois pas que tu n’es plus eu de Mino. Elle ne t’aurait plus fait enrager lorsque tu seras venu en permission. tu n’aurais plus eu besoin de te défendre contre ses rages de dents !!! Tu n’aurais plus à te mettre en colère lorsqu’elle te taquinait un peu méchamment comme elle l’a fait l’autre jour !!

Pauvre chéri aimé, comme je suis méchante et comme je te fais enrager. Je suis toujours la même !!! Mais je suis sûre que tu pardonnes à ta grande gosse qui se promet d’être moins taquine à l’avenir (si je peux). Ça n’empêche pas, malgré son vilain caractère qu’elle est folle de toi et qu’elle t’aime de tout son coeur. Elle t’aime à sa façon. On pourrait dire qu’elle aime bien, mais qu’elle taquine bien. Pauvre coco, pour la peine que je t’ai fait enrager, je t’envoie une corbeille de cerises, des bien douces, pas de celles qui font faire la grimace !!!

Je termine car voici midi, et mes casseroles m’attendent !!!

En espérant que ta santé est toujours bonne, je termine mon Lou adoré en t’embrassant bien tendrement.

Celle qui ne pense qu’à toi

Mino

PS : Et tes enfants de ton bracelet, comment vont-ils ?