Où ça tape dur

Le 16 Avril 1917

Mon petit Lou Aimé,

J’ai reçu tout à l’heure ta gentille lettre du 11. Pauvre Lou, comme je m’en veux de t’avoir donné le cafard, surtout à tort ! Tu as déjà assez de soucis comme ça, sans que je t’en crée inutilement. Heureusement que tu as eu des meilleurs nouvelles le soir même, sans quoi je m’en serais encore plus voulue !!!

Je suis une vilaine Mino ! J’aurai dû garder tout pour moi, et ne pas te confier mes inquiétudes. Surtout que cette nouvelle t’est parvenue à un mauvais moment, juste comme tu venais de regagner le front. Enfin, j’espère que c’est oublié, et que tu n’y penses plus du tout ?

Pour les permissions, petit Lou, je saurai avoir du courage et j’attendrais avec beaucoup de calme et de patience un heureux moment. Ça sera bien dur, j’en suis certaine, mais puisqu’il le faut !

Console-toi de la perte de tes animaux, comme tu ne penses pas venir de sitôt en permission, je t’envoie pour les remplacer la petite batterie de cuisine promise. Tu sais, chéri, ce n’est pas joli-joli, mais ça fait tout de même son petit effet. Je te les envoie pas comme un bijou de valeur, mais comme fantaisie.

D’ailleurs de cette manière, si ça rejoint les animaux, ça ne sera pas une grosse perte. Aussi prépare-toi à recevoir un énorme paquet. Je suis contente de ne pas avoir fait enlever l’anneau de ta plaque, puisque ça t’est utile, mais ne crains-tu pas de la perdre ?

J’ai une commission à te faire de la part de Marie-Louise. Elle m’a demandé si tu voulais bien que je lui vende mon petit canotier gris de l’année dernière. Elle en meure d’envie, aussi je lui ai dit que je ne pouvais faire une chose pareille sans te demander conseil, je sais qu’il te plaisait tant ! Alors voilà la commission faite. A toi de juger le marché.

Canotier - Les Modes 1917
Canotier – Les Modes 1917

Hier, Marie-Louise n’avait pas le cafard, c’est heureux. On lui a dit de très bonnes choses, entre autres, qu’elle allait avoir sa voiture. Rien que ça de luxe ! Elle se voit déjà dedans. Si ça réussi comme moi, elle pourra encore user une douzaine de paire de chaussures. Moi, c’est f-i, fi, n-i, ni, fini, je n’y crois plus du tout.

Je suis très inquiète de te savoir de nouveau en danger, surtout d’après ce que tu as l’air de dire, c’est à un endroit où ça tape dur en ce moment. Est-ce où tu m’avais dit ? Pour que vous ayez des obus qui passent au dessus de vous, il faut que vous soyez bien près du front, ou alors près de Reims, là, y a des canons à longue portée.

excelsior 17-avril17

Malgré tout, je ne m’affole pas, car j’ai toujours grande confiance en notre avenir. Tant qu’à la correspondance, elle a l’air de bien marcher puisque ça arrive plus vite que de Châlons.

J’espère que tu es toujours en bonne santé et que tu n’as plus du tout le cafard. Dans cet espoir et dans l’attente de tes bonnes nouvelles, je t’envoie mon chéri Aimé les plus tendres baisers de celle qui pense bien à toi,

Mino

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