J’ai tout de même du courage

Le 4 février 1917

Mon petit chéri,

J’ai reçu ce matin ta gentille lettre du 1er dans laquelle tu doutes un peu de mon courage. Tu me demandes s’il est vrai que je suis aussi courageuse que je te le dis. Comme tu me demandes aussi de dire bien franchement si c’est vrai, je réponds : “Oui“, mais par moments, il ne faut pas trop m’en vouloir mon petit Lou. Si je ne le suis pas tout le temps, c’est que j’ai des raisons et ces raisons tu les comprendras facilement. J’ai des ennuis avec mon père.

La semaine dernière, j’ai eu une histoire qui a duré 8 jours. Sans un mot, sans une parole pendant tout ce temps, aussi je ne peux pas être gaie. J’ai beau être armée de beaucoup de courage, il y a des fois que j’en ai plus du tout. Après avoir entendu tout ce que j’ai entendu, ça serait bien difficile de ne pas être découragée. Je croyais que tu ne t’en serais pas aperçu, aussi je ne t’avais rien dit. A quoi bon te faire faire du mauvais sang, c’est suffisant que ça soit moi.

Puisque malheureusement tu ne peux rien y faire, je t’avais confié toutes mes peines dans une longue lettre, mais au moment de l’envoyer, je n’en ai pas eu le courage. J’ai trouvé que c’était lâche de ma part de me plaindre à toi qui est plus malheureux que moi. Aussi ce que je ne confie pas à toi, je le confie encore moins à personne et j’ai gardé tout pour moi. J’y suis tellement habituée ! Tu vois que par moments, j’ai tout de même du courage. J’en ai même plus que tu crois, car d’être seule comme je le suis, et de vivre à côté de quelqu’un qui ne fait même pas attention à moi et ne m’adresse pas la parole ou pour me dire des choses qui me font de la peine, c’est dur et bien décourageant et malgré tout je garde mon courage, mais je peux dire que c’est grâce à toi, ton amour me sauve, tu vois si je ne t’avais pas, mon petit Lou, je crois que je ferais des bêtises.

En ce moment, je vis que dans l’espérance de jours meilleurs, sans quoi je ne vivrais pas. Ce qui me met en colère, c’est qu’après m’avoir fait de la peine pendant toute une semaine, aujourd’hui, mon père est aimable comme tout avec moi. Comment veux-tu que je le sois avec lui ? C’est bien difficile. Je n’oublie pas les vilaines choses si vite.

Enfin, puisque tu me demandais de parler franchement, j’ai tout dit sans quoi tu n’aurais rien su et j’aurais préféré car je ne veux pas que tu te fasses de mauvais sang avec toutes ces histoires. Surtout mon chéri, tu me promets de ne pas t’inquiéter ? C’est passé, espérons que je serai tranquille pour longtemps. Et surtout ne m’en veux pas pour cette petite cachotterie, cela me ferait de la peine, moi qui l’avait fait pour t’en éviter.

Si je ne sors pas et si je reste près de mon feu, c’est qu’en ce moment il ne fait bon que là. En plus de ça, je n’ai pas envie de sortir. Malgré tout je ne reste pas enfermée tous les jours. La preuve cette semaine, j’ai été Lundi chez toi, Mardi Suzanne et Loulou sont venues à la maison, Mercredi chez ta tante, Jeudi je suis restée à la maison, Vendredi chez Loulou et hier Samedi Germaine est venue bavarder une partie de l’après-midi. Aujourd’hui Dimanche je lui avais promis de sortir avec elle, ma foi je n’en ai pas trouvé le temps. Tu vois que je ne suis pas tout le temps enfermée.

Ne t’inquiète pas de trop surtout, je ne le veux pas.

Je te quitte mon petit Lou, il y a un moment que je t’écris, mon père doit se demander ce que je te dis, il est là, près de moi.

En espérant que tu es toujours en bonne santé, je termine ce mot en t’envoyant mon Lou Aimé mes plus doux baisers.

Celle qui n’espère qu’en toi,

Germaine

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