C’est bien difficile !!!

Le 25 Janvier 1917

Mon petit Lou Aimé,

J’ai reçu hier au soir ta gentille lettre du 23 m’apprenant ton arrivée à Bar. Je suis heureuse de savoir que ton voyage s’est bien passé et que tu n’as pas eu froid la nuit. La température a tellement baissé depuis ton départ que je craignais fort pour toi. J’espère qu’on vous a envoyé une bonne voiture et que vous n’avez pas eu trop à souffrir des cahots.

La prochaine lettre que je recevrai sera sans doute de l’escadrille, car je pense qu’à l’heure qu’il est, tu y es arrivé. J’espère que tu as été bien accueilli et que cette escadrille est selon que tu la désirais.

Tu me demandes si je suis courageuse et si je n’ai pas ou presque pas pleuré ? En effet, j’ai été très courageuse, je le reconnais moi-même, je le suis encore du reste. Je dis : “Je l’ai été” parce que je n’ai pas pleuré du tout à la gare. Je me suis contenue le mieux que j’ai pu et je suis arrivée à ne pas verser une larme. Ça a été très dur, mais j’y suis tout de même arrivée. J’ai même été très contente de moi, que tu ne me voyes pas pleurer. Je suis sûre que de cette manière, tu es parti moins ennuyé, n’est-ce pas mon chéri ?

gare-est

Dans la voiture, je n’ai pas pleuré non plus. Madame Sevette m’a causé, malgré mon chagrin j’ai eu le courage de lui répondre. Elle m’a parlé jusqu’à chez toi. Jusque là, je n’avais pas encore versé une larme, c’était très joli.

A table, j’ai eu beau me contenir, ça a été plus fort que moi. Je n’avais pas faim, on m’a forcé à manger. Comme j’avais des larmes qui me serraient la gorge, je ne pouvais avaler. A la première bouchée, mes larmes si longtemps contenues se sont mises à couler, mais pas longtemps. Je m’étais dit : «Tu ne pleureras pas» et j’ai voulu tenir ma promesse. Chose bien difficile car lorsqu’on se met à pleurer, on ne peut plus s’arrêter.

Au milieu du repas, ton père m’a adressé la parole. Je n’avais pas encore causé, heureusement que ta cousine faisait tous les honneurs de la conversation. J’ai voulu répondre, j’ai bégayé quelques mots et j’ai refondu en larmes. Enfin, à mon grand plaisir, l’heure de me reconduire est arrivée. J’attendrais ce moment avec impatience afin d’être seule et de pouvoir à mon aise me livrer toute entière à mon chagrin.

Ton père m’a reconduit vers 9h½. J’ai parlé quelques minutes à mon père en rentrant et j’ai bien vite regagné ma chambre. J’étais enfin seule ! J’allais pouvoir tout à mon aise penser à toi et me soulager de toutes ces larmes qui m’étouffaient depuis 2 heures. Ne crois pas mon petit chéri que j’ai pleuré. A mon grand étonnement, d’être seule, cela m’avait calmé. J’ai refoulé mes larmes et je me suis promise d’être très courageuse à l’avenir. J’ai pensé que cela te ferait plaisir si tu me voyais et je n’ai pas pleuré. Je me suis couchée bien gentillement et j’ai pensé à toi, jusqu’au moment où le sommeil est venu me trouver.

Mardi matin, j’étais bien triste, pourtant je n’ai pas pleuré. L’après-midi, Suzanne et Loulou devaient venir me voir mais vers 3 heures, Suzanne est venue me chercher avec Monsieur Sevette et nous avons été avec Loulou à Bois-Colombes.

magasin louvre

Ensuite, Monsieur Sevette nous a emmené au Bon Marché et de là au Louvre. Il nous a ramené à la maison où nous avons goûté. Malgré tout, cette promenade ne m’a pas changé les idées, j’étais toujours aussi triste. Hier, depuis le matin, je me suis acharnée après du raccommodage jusqu’au soir. J’espère par le travail oublier combien tu es loin de moi et tous les dangers que tu cours. C’est bien difficile !!!

Enfin, je ne me laisse pas aller, ce matin, j’ai repris mon travail et là, près du feu, assise sur ma petite chaise, je pense à toi. Je te suis par la pensée. Je te vois aujourd’hui faisant peut-être ta première sortie. Je tremble. Malgré tout, je garde tout mon courage afin d’être comme tu le désires, c’est à dire comme j’étais l’année dernière à cette époque. C’est bien bien dur, tu sais mon chéri, mais c’est le seul plaisir que je puisse te faire en ce moment, aussi je ne puis te le refuser. Es-tu contente de ta petite Mino et me trouvez-tu assez courageuse ?

J’attends une longue lettre me donnant beaucoup de détailes sur ton installation là-bas. J’espère même sans être trop exigeante en avoir une tous les jours. Cela m’aidera à persévérer dans mes bonnes résolutions.

Tu me diras si mon manchon est pratique lorsque tu t’en serviras et s’il te tient bien chaud. Depuis que tu es parti, il fait un froid du diable, nous avons eu 9 en dessous de 0. Cela doit être pire de ton côté.

pp-25-01-17

En espérant que mon mot te trouvera en bonne santé, je termine mon mignon chéri en t’envoyant mes baisers les plus doux.

Celle qui pense bien bien à toi,

Germaine

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