Je prends un tas de drogues

Le 17 Décembre 1916,

Mon petit Lou chéri,

Je ne t’ai pas écrit hier, aussi je m’en veux beaucoup. Je suis sûre que tu me pardonneras lorsque tu sauras pourquoi. Je crois t’avoir dit que la personne qui demeure au dessous de moi est venue me soigner lorsque j’étais au lit, et qu’elle avait attrapé ma grippe par la suite. Ce qui fait qu’en ce moment, elle est toujours malade. Aussi, maintenant, c’est moi qui fait le rôle de garde-malade et je ne suis pas souvent chez nous. C’est pourquoi hier, je n’ai pas eu une minute à moi, pour te la consacrer. En plus de ça, je ne suis pas sortie de la journée et je n’aurais pas voulu confier ma lettre à n’importe-qui. Si ma grippe est complètement finie, ça n’empêche  pas que je suis bien fatiguée à présent. Le lit m’a beaucoup affaibli. Le peu de force que j’ai repris, je les ai perdues en voulant sortir trop tôt, ce qui fait qu’à l’heure qu’il est, je me sens sans force, et sans énergie.

Depuis trois jours je ne marchais que par les nerfs. Aussi, il fallait voir dans quel état que j’étais ! Je ne mangeais plus, je dormais peu, un rien m’agaçait, pour un peu, je piquais une crise. Vendredi, je me suis trainée, plutôt que marcher chez Loulou. Je n’ai pas dit un mot, tant j’étais triste et je suis restée à peine une demie-heure, tant j’avais hâte de regagner la maison. On s’est aperçu que je n’étais pas bien et on m’a conseillé de revoir le médecin.

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Le lendemain, qui était donc hier, j’étais auprès de ma malade (qui a une bien triste garde-malade auprès d’elle !) lorsque le docteur est venu. Comme c’est le même que le mien, je lui ai dit mon état, et maintenant, j’ai de l’anémie. Alors je prends un tas de drogues pour me fortifier, ça n’en fini plus. Hier tantôt, j’étais pas bien du tout, ajoute à ça le soucis de contenter ma malade, ça n’allait plus du tout, aussi, si je ne t’ai pas écrit, il ne faut pas m’en vouloir, je n’en étais pas capable. Je sais d’avance que tu me pardonne. Aujourd’hui, ça va plutôt mieux. Je suis restée couchée jusqu’à 9h½ et j’ai été obligée de laisser ma malade seule. J’en suis bien désolée, mais franchement, je ne l’aide pas à grand-chose.

Hier, elle a été forcée de se lever pour allumer sa salamandre, je ne pouvais y arriver, ce qui me désolait et m’énervait numéro un.

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Comme maintenant on lui a permis de se lever, ça me console un peu, elle pourra se débrouiller toute seule. Aujourd’hui, je ne veux pas sortir du tout, j’ai mangé le plus que j’ai pu, ce qu’on m’a bien recommandé aussi tantôt je me sens bien, même très bien à côté d’hier.

Je n’ai pas répondu à tes deux gentilles lettres du 12 et 13 qui m’ont fait pourtant un immense plaisir. Si seulement tu pouvais avoir cette permission dont tu parles. Je sens que je deviendrais folle de joie de t’avoir sept jours consécutifs à mes côtés. Et je suis certaine que j’irai mieux tout de suite. C’est le meilleur fortifiant que l’on puisse me donner. Je n’ose y penser, car je serais trop déçue si cela n’arrivait pas. J’espère seulement et encore je me dis constamment : “Je n’aurai pas cette chance-là, j’aime mieux ne pas y penser”. J’ai toujours remarqué que lorsque je me réjouis d’une chose à l’avance, ça n’arrive pas.

La permission dont je te parlais et que tu m’as fait entrevoir dans une lettre, c’est ton passage à Paris, en regagnant ton escadrille. A ce sujet, je t’ai dit dernièrement que je n’y comptais pas beaucoup et pourquoi. Enfin, je souhaite de tout mon coeur qu’Avord ne fasse pas la sourde oreille et que bientôt tu aies le certificat demandé. Il me semble qu’après, ça serait moins difficile. Enfin, je n’en sais rien.

J’espère que tes vilaines engelures sont guéries , et que ma lettre te trouvera en parfaite santé. J’attends une gentille lettre pour demain, hier, je n’ai rien eu, aujourd’hui non plus. Dans cette attente, reçois mon mignon chéri les plus tendres baisers de celle qui t’adore,

Germaine

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