Grande désillusion

Le 11 Décembre 1916

Petit Lou Aimé,

J’ai reçu ce matin ta mignonne lettre du 7. Je suis heureuse que tu aies enfin de mes nouvelles. Tu devais commencer à t’inquiéter. Je suis contente aussi que mon journal ne t’ait pas donné trop de mal pour le lire. Il était si mal écrit ! Enfin, cela t’a fait passer une bon moment.

Tu me dis mon petit chéri qu’il ne faut pas vous faire meilleurs que vous êtes, toi et tes parents (pourtant ce que j’ai dit est l’entière vérité) et toi, en me donnant ce conseil bien modeste, je trouve que tu me fais, je crois, meilleure que je suis aussi : “Tu es si gentille”. Heum, Heum ! Je crois que tu me fais des compliments car je suis loin d’être aussi gentille qu’on l’est envers moi. Enfin, puisque c’est toi qui le dit, je veux bien le croire, mais ne crains-tu pas que j’en porte vanité et que je devienne très orgueilleuse ? Non, ne le crois pas, je sais bien que je ne suis pas parfaite. Je n’ai pas mangé la consigne. Je ne m’en fais pas , mais pourvu que ça dure.

Comme tu le pensais, tu me causes une grande désillusion en m’apprenant qu’il ne faut pas aller te voir. Moi qui me faisait tant une fête d’aller te surprendre un de ces jours. Mieux que ça, figure-toi que le jour était déjà décidé. C’était pour Jeudi prochain 14. J’avais choisi ce jour-là parce que je m’étais entendu avec Marie-Louise et elle n’était libre que ce jour-là. Nous avions rendez-vous à la gare du Nord avant 9h½ afin de pouvoir prendre le train de 9h56.

plessis

Je devais lui renvoyer un mot demain pour la fixer tout à fait. Je voulais savoir ce que tu répondrais, je m’en doutais un peu, c’est pour cela que j’avais dit à Marie-Louise qu’une fois que tu étais en permission, tu m’avais dit : “Il ne faut pas aller au Plessis, je pourrais avoir des ennuis”. Mais depuis que Marie-Louise  m’avait raconté la petite histoire de sa camarade, je m’étais dit : “Puisqu’il y en a une qui y a été, je ne vois pas pourquoi je n’en ferais pas autant”.

C’était très simple, comme tu vois. Mais que veux-tu, je saurai m’imposer ce sacrifice. C’est désolant, mais nous ne sommes plus  à notre premier déplaisir. Surtout que cela pourrait t’occasionner des ennuis, je n’irai pour aucune prise. Je saurai patienter jusqu’à la permission que tu me fais entrevoir. Tu peux être tranquille, je ne te désobéirai pas. Je vais mettre un mot à Marie-Louise et tout sera dit.

Comme tu le supposais, je vais beaucoup mieux, même très bien. Je n’ai pu encore sortir aujourd’hui, il tombe de la neige fondue. J’espère que ta santé est toujours bonne. En attendant une gentille lettre de toi, je t’envoie mon mignon chéri les plus tendres baisers de celle qui n’aura pas assez de sa vie pour t’adorer.

Germaine

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