Grand guignol

Le 16 Octobre 1916

Petit chéri,

Je n’ai pas reçu de tes nouvelles ce matin par contre, j’ai reçu une lettre hier à laquelle je n’ai pas encore répondu, ce qui est très mal. J’aurai bien voulu le faire hier mais c’était Dimanche et j’ai été occupée toute la journée, aussi j’espère que tu m’excuseras.

Marie-Louise est venue déjeuner à la maison. Lorsqu’elle est arrivée, je n’étais pas encore débarbouillée, aussi j’ai eu beau mettre les bouchées doubles, j’étais tout juste prête pour partir à 1h1/2 au Grand Guignol qui se loge au diable vauvert.

guignol

Ah ! Ce théâtre, je m’en souviendrai longtemps, il y a de quoi devenir fou ! C’est tellement bien joué que l’on croit que c’est réel. Marie-Louise y a été de sa larme. Pas moi, mais j’avais joliment le trac, je le reconnais sincèrement. Je pensais à toi lorsque tu dis que cela te ferais rire. Je ne crois pas, car il n’y avait personne de gai dans la salle. Vraiment, on ne n’amuse pas là-dedans. La marque de la bête, c’est hideux. Tu vois un homme qui a son âme changée avec celle d’un loup par un fakir et qui hurle tel une bête. L’apparition d’un lépreux est à devenir fou de peur. Quelle détestable vision ! Je le vois encore avec sa tête sans yeux ni nez et sa bouche sanguinolente. C’est à faire frissonner, j’aime mieux ne plus y penser, j’en ai déjà rêvé toute la nuit. Heureusement que l’on va au théâtre pour se distraire !!! Un jour que tu viendras en permission car je ne désespère pas, je voudrais y aller avec toi, je voudrais voir ta tête !!!

Hier, il y avait deux aviateurs à ce théâtre, aussi je les ai regardé d’un mauvais oeil. Qu’est-ce qu’ils faisaient là, puisqu’il n’y a plus de permission ? J’avais envie de leur demander !

J’ai vu Suzanne ce matin, elle m’a dit que tu reviendrais peut-être chercher un coucou bientôt. Je crois que c’est pour me consoler et m’ôter le cafard. En ce moment, il pleut tout le temps aussi tu ne dois pas pouvoir voler de jour et encore moins de nuit. Aussi comme voici l’hiver, tu n’es pas au bout de ton apprentissage !!! Je ne peux pas croire que les permissions soient complètement supprimées. Alors si tu restais trois mois encore à Avord, tu ne viendrais pas une fois à Paris pendant tout ce temps ?

Ceux qui sont au front en ont bien !!! A ce sujet, j’ai quelque chose à te dire qui ne te réjouira certainement pas. J’ai appris hier qu’un aviateur qui est au front depuis 1 an sur l’appareil de chasse vient de venir seulement en permission. C’est loin de 4 mois ça ! Qu’est–ce que tu en dis mon chéri ? Et qui est-ce qui a raison ?

Je vais terminer mon bavardage car c’est aujourd’hui Lundi et je vais chez toi. Mais hélas, tu n’y seras pas !

En attendant de tes nouvelles et en espérant que tu es toujours en bonne santé, je t’envoie mon mignon chéri mes plus doux baisers.

Celle qui t’adore,

Germaine

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