Ah, mes pauvres nerfs !

Le 27 Octobre 1916

Mon mignon petit chéri,

J’ai reçu tout à l’heure lorsque j’étais en train de déjeuner ta gentille lettre du 26. Ce qui m’a servi de délicieux dessert. C’est rare lorsque tes lettres m’arrivent à cette heure-là. Lorsque cela arrive, c’est que la concierge a eu la flemme de les monter plus tôt, car les lettres arrivent au courrier à dix heures.

En effet, hier je n’ai pas eu le plaisir de te lire, mais tu sais, je ne t’en veux pas pour ça, surtout que moi, je ne t’ai pas écrit non plus. J’ai été en matinée avec Marie-Louise. Il fallait vraiment en avoir envie, car avec la tête que j’ai, j’aurais mieux fait de rester à la maison. Je suis rentrée encore plus malade et j’ai été obligée de me coucher. Décidément, je suis vouée aux maux de tête et plus ça va, plus j’ai mal. Je dois avoir des névralgies car ça me prend sous les yeux pour se terminer sur le dessus de la tête. Je croyais avoir mal aux dents, je me suis trompée, c’est simplement des douleurs que je ressens un peu partout dans la tête.

Je suis gentille en ce moment, je voudrais que tu voies l’échantillon. Un oeil plus fermé que l’autre, un air idiot et le regard vide, vois d’ici le tableau ! Une de mes amies m’a dit que je ressemblais fort à une femme qui a bu. C’est charmant et très flatteur. Ne trouves-tu pas mon chéri ? Surtout que pour toi, c’est loin d’être plaisant.

27-10-16

Tu excuseras ce barbouillage, mais je ne sais même plus ce que j’écris. Je suis, je crois un peu folle. Voici quatre jours que je suis ainsi. Je voudrais bien que ça cesse, car c’est terrible ces douleurs. Lorsqu’il arrive 7 heures, je ne suis plus bonne à rien qu’à aller me coucher. Tout tourne autour de moi. Au lit, je dors aussitôt d’un sommeil de plomb, et je suis assaillie par de vilains cauchemars qui me réveillent en sursaut. Après je ne me rendors plus jusqu’au matin.

Ainsi j’ai rêvé que ton père m’avait mis à la porte de chez toi et ne voulait plus me revoir. Il faut vraiment que j’aie la tête malade pour aller chercher de pareilles bêtises. Aussi je croyais tellement que c’était vrai que j’ai pleuré une partie de la nuit. Je me disais : on a certainement pas consulté mon petit chéri pour me faire ainsi souffrir, s’il savait, il me défendrait certainement. Et toute la nuit ainsi. D’avoir pleuré, cela m’avait fait du bien, malgré tout aussitôt levée, ma migraine a repris de plus belle.

L’autre nuit, c’est tout le contraire que la dernière, j’ai dormi comme un plomb, si bien qu’il y a eu le feu à coté de chez nous et j’ai rien entendu. C’est mon père au matin qui m’en a parlé, sans quoi j’en aurais rien su. Il parait pourtant que cela avait fait un beau vacarme car tout le monde dans la maison croyait à la visite des zeppelins et il y avait de la lumière partout. Mon père s’est promené dans la salle à manger tout en regardant s’il n’y avait pas de danger et je n’ai rien entendu.

A 7 heures, on sonne un gros coup, dans le genre des tiens. Papa se met à crier : “C’est Lucien”, je me précipite folle de joie. Et je me retrouve face à face avec une vieille bonne femme qui s’était trompée, au lieu d’appuyer sur le bouton électrique, elle avait appuyé sur la sonnette. Aussi y avait-elle mis tout son coeur. Vieille folle ! Elle ne se doute pas de l’émotion qu’elle m’a fait. Ça a été plus fort que moi, après j’ai piqué une crise de rire, je ne pouvais m’arrêter. Après le rire, ça a été les larmes, car ce maudit coup de sonnette m’a amené le cafard. Ah, mes pauvres nerfs ! Ils m’en font voir de dures en ce moment.

porte-germaine

Je te remercie mon petit chéri pour le choix de ton papier à lettre, la couleur est très bien, et surtout de circonstance. Hélas, ce vert combien en ai-je déjà porté et pourtant je suis toujours dans l’espérance, mes désirs ne sont pas encore exaucés. Enfin, venant de toi, il aura sans doute plus de valeur. En effet, avec ce temps les permissions devraient réapparaître, cela me ferait bien du bien, c’est le seul remède dont j’ai besoin, je suis sûre qu’après, je ne penserais même plus à ma tête.

Je vais terminer là ce griffonage car de parler de permisssions, ça me donne le cafard. En espérant que ma lettre te trouvera en parfaite santé, je termine mon petit Lou adoré en t’envoyant mes baisers les plus doux.

Celle qui pense à toi sans cesse,

Germaine

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