On ne s’inquiète que de ceux qu’on aime

Le 12 Septembre 1916 – 20 heures –

Mon petit Loulou adoré,

Cet après-midi, tu m’excuseras de t’avoir écrit un mot si vivement. J’étais en retard pour la bicyclette et je sais que Loulou n’est pas contente lorsqu’on la fait attendre. Comme je te l’ai promis, je viens bavarder le soir où j’ai du temps à moi et où je suis tranquille, aussi je préfère te consacrer ce moment-là. Ce qu’il y a d’ennuyant, c’est que ma lettre ne part que le lendemain matin. Enfin, elle te parvient tout de même.

Nous avons fait une bonne promenade à bicyclette, nous avons été jusqu’à Boissy St Léger et nous avons goûté à Brévannes. De cet endroit nous t’avons envoyé une carte. Suzanne s’est chargée de faire le buvard avec son doigt, aussi c’est un peu barbouillé.

barbouille-12-09-16

As-tu reçu celle envoyée de Crosnes ?

Je n’étais pas trop en retard. Suzanne est arrivée après moi, aussi Loulou n’a rien dit. Je crois que nous n’avons plus beaucoup de temps à pédaler, nous profitons des derniers beaux jours, après, il va falloir s’enfermer.

Maintenant, je vais faire réponse à tes deux mignonnes lettes reçues ce matin.

Tu commences l’une d’elle en disant que tu vas me gronder un peu. Aussi cela m’a fait rire. Toi ? Me gronder ? C’est amusant. Tu es trop gentil pour le faire, je crois que si je le méritais, tu n’oserais pas. N’est-ce pas, mon chéri ? Je reconnais parfaitement que le le méritais puisque je doutais de tes paroles, mais mon petit Lou, je suis bien pardonnable, puisqu’il s’agissait de ta santé.

Tu me dis “Depuis quand ne me crois-tu pas sur parole ?”. Mon chéri, je crois tout ce que tu me dis, je n’ai jamais douté un instant de tes paroles, au contraire, tout ce que tu dis est toujours bien dit. Mais là, tu comprends, tu aurais pu pour ne pas m’inquiéter, me dire que tu n’avais rien malgré que tu sois blessé. Ce qui aurait été un pieux mensonge. Et je n’aurai pas douté de toi pour ça, au contraire, pas plus que je ne doute de toi en ce moment. Il faut me pardonner, mets-toi à ma place, tu apprendrais qu’il vient de m’arriver un accident et que je n’ai rien, tu t’inquièterais quand même. C’est plus fort que soi. D’ailleurs, on ne s’inquiète que de ceux qu’on aime. N’es-tu pas toute ma vie à présent ? Que deviendrais-je sans toi ?!!

Ma punition est bien douce, je voudrais bien avoir le bonheur de m’en acquitter le plus tôt possible. Malheureusement, j’ai sans doute encore beaucoup de temps à attendre. Si tu es versé sur Caudron, tu n’auras peut-être pas de permission. Enfin, nous attendrons patiemment.

Je suis contente de voir que tu ne te décourage pas. Je savais bien que tu as trop de courage pour ça. Tu me dis que je te reste : heureusement, il en manquerait plus que ça qu’il m’arrive quelque chose à moi aussi !!!

J’espère avoir de tes nouvelles demain, et apprendre que tu vas bientôt revoler car rester inactif comme tu l’es en ce moment, le temps doit te sembler bien long.

En attendant le plaisir de te lire et en espérant que ta santé est toujours bonne, je te quitte mon trésor en t’envoyant les meilleures tendresses de celle qui t’aime de tout son coeur,

Germaine

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