Positivement dans la lune

Paris, Le 26 Avril 1916

Mon grand taquin,

Nous sommes rentrés à bon port à Paris. Pour ma part, j’ai fait un très mauvais voyage. Je suis partie du Crotoy, pas très contente de moi. Je ne sais pas, j’ai peur de t’avoir un peu fâché. Est-ce vrai ?

J’espère, si c’est un peu vrai, que tu ne me garderas pas rancune ? Ces mots de “méchante, tu n’es pas gentille” me reviennent constamment à l’oreille. Dire que c’est mon Loulou qui dit cela ! Alors c’est vrai, je suis donc méchante ?

Tu me disais que sur mes lettres je ne demandais pas mieux que l’on me taquine et que lorsque je suis près de toi, je me défends. C’est très vrai ! Mais il faut dire que je ne comprends pas la taquinerie comme tu l’entends. Il me semble que pour toi ce mot renferme bien des choses qui ne sont plus dans le sens du mot. Enfin malgré que je sois très méchante, je te pardonne, mais à condition que tu soies plus sage à l’avenir.

J’espère que Lundi soir ton coucou n’a pas eu trop à souffrir de tes nerfs. Sans quoi, c’est surement encore moi que l’on accusera !

Comme je te l’ai dit, nous sommes allées en bicyclette hier. Et bien je t’assure que j’avais grise mine à la conduire, j’était loin d’être brillante. J’étais toujours la dernière, ce qui me valait les récriminations de Loulou. En plus de ça, pour terminer la fête, j’ai pris une belle bûche, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps.

Comme souvenir, j’ai aujourd’hui un joli bleu au genou et plus le pouce que je me suis tourné ! Voilà à quoi je suis bonne, je m’arrange bien ! Inutile de dire que j’étais positivement dans la lune lorsque j’ai fait cette petite excentricité, ça se devine ! Et j’ai été toute surprise de la manière un peu brusque avec laquelle j’ai repris contact avec la terre. Ce qui me fait voir qu’il est parfois dangereux d’être dans la lune. C’est pas de ma faute, j’étais ou je me croyais encore avec toi.

Nous devons encore en faire tantôt, je tâcherai de rester sur terre.

Heureusement que tu viens Mardi, sans quoi je crois que le cafard serait tenté de me rendre visite.

En espérant recevoir une gentille lettre de toi tantôt et espérant aussi que tu n’es pas trop malade, je termine ma lettre en t’envoyant mon petit Loulou chéri les plus doux baisers de ta petite,

Germaine

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