Les femmes de tes camarades

Paris, Le 12 Avril 1916

Mon petit chéri,

J’ai reçu tout à l’heure ta mignonne lettre du 11. Mon pauvre chéri, je ne peux pas être comparée aux femmes de tes camarades. Elles, au moins, elles sont libres d’aller vivre avec leur mari, c’est même très naturel, tandis que moi, je n’ai pas encore ce bonheur et je suis loin d’être libre.

S’il ne tenait qu’à moi, il y a longtemps que je serais près de toi. J’ai même parfois des envies de partir sans rien dire à personne. Mais je me raisonne, et je me dis que cela pourrait me coûter cher un pareil coup de tête ! Pour nous attirer des ennuis, c’est pas la peine. Enfin, c’est bien dur, de te sentir presque libre et de ne pas pouvoir te voir. J’en parlais justement hier à Suzanne et je lui disais que c’était bien long d’attendre jusqu’au 2 Mai pour te voir. Elle m’a répondu que je n’avais qu’à me contenter très heureuse et que si tu étais encore au front, ça aurait été encore plus long. Ça, j’en conviens, mais on voit qu’elle ne doit pas savoir ce que c’est qu’aimer !

Je ne crois pas que ce soit le voisinage de la mer qui soit pour quelque chose dans ton grand besoin de tendresses. Moi, bien que n’étant qu’à Pris, je ressens la même chose.

Tant qu’à trouver que la guerre aurait mieux fait d’attendre encore quelque temps… A mon avis, elle aurait mieux fait de ne jamais faire parler d’elle. Sans elle, à l’heure qu’il est, nous serions peut-être tout près d’être heureux. Tandis que maintenant, nous en sommes encore loin, je crois.

Comme je suis en train d’écrire, mon père vient de lire son journal, il a parait-il trouvé un article très épatant te concernant. Je vais en prendre connaissance.

12-04-16 PP

Je croyais que c’était mieux que ça, enfin, comme il l’a découpé, je te l’envoie. Il aurait mieux fait de combiner un plan pour aller te voir, il aurait mieux occupé son temps et j’aurais trouvé que c’était doublement épatant.

C’est agaçant ! Un jour il parle d’aller te voir, le lendemain les idées sont changées. Que veux-tu que je te dise de cette manière ? Enfin, j’espère toujours.

En attendant le plaisir de te lire et en espérant que ta santé est toujours bonne, je termine en t’envoyant mon petit chéri les plus tendres baisers de ta petite fiancée qui regrette amèrement de ne pouvoir tenir auprès de toi la place qu’occupent celles qui sont auprès de tes camarades,

Germaine

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