Attaque de Zeppelins en direct

21h Paris, Le 29 Janvier 1916

Mon mignon chéri,

Quelle surprise ! Figure-toi que cet après-midi comme je descendais mettre ta lettre contenant la photo à la poste, la concierge m’a remise trois lettres de toi. Tu penses si j’étais contente. J’étais loin de m’attendre à une si douce avalanche ! Que de gentilles choses dans trois lettres à la fois ! Elles sont arrivées à un bon moment, depuis ce matin, je voyais tout en noir. Pourtant, voici longtemps que cela ne m’était arrivé. C’est très drôle, ça prend tout d’un coups à n’importe quel sujet. Heureusement qu’elles se sauvent aussi vite qu’elles arrivent.

Je voulais quand même t’écrire ce soir, car cet après-midi, j’étais un peu pressée et je t’ai écris une lettre à la va-vite afin que la photo parte ce soir. Comme j’ai eu le bonheur de recevoir trois lettres, il faut que je fasse une longue réponse, comme si je répondais à trois lettres séparées. Tes lettres sont celles du 23-24-26.

Dans celle du 23, tu m’annonces ton prochain repos pour le 27. Donc à l’heure où je t’écris, tu en jouis.

Dans la lettre du 24, tu me dis que tu es gâté, car tu reçois une lettre tous les jours sans exception. Qu’est-ce que je dirais alors ! Moi qui vient d’en recevoir trois dans la même journée ?

Je t’écris en effet presque tous les jours, cela me fait tant plaisir de venir bavarder avec toi, c’est la seule joie qui me reste lorsque je viens de recevoir une mignonne  lettre de toi.

Je te remercie du conseil que tu me donnes au sujet de Madeleine. Je pourrais le mettre en pratique dès  à présent, car j’ai le crâne bourré de ses histoires qui, plus je la connais, sont de plus en plus nombreuses. Mais tu as oublié de me donner l’adresse du soit-disant marchand d’oreille à rechange, car je pourrais lui faire faire des affaires en or !!!! D’ailleurs, tout ce qu’elle me raconte ça rentre par une oreille et ça ressort par l’autre. Cette pauvre Madeleine, si elle lisait ça, elle ferait je crois une drôle de tête.

Je suis heureuse de savoir que ton rhume va mieux. Tant qu’à moi, j’ai un mal de dents comme je n’en ai jamais eu de ma vie. A part ça, je vais toujours très bien.

As-tu reçu la photo ? J’ai bien peur qu’elle arrive abimée ou pliée en deux.

Ce soir, j’étais en train de coudre, aussi, pour t’avoir tout près de mes yeux, je t’avais installé sur la table, ta photo malheureusement, mais pas toi. Et je t’assure que j’avais plus souvent le nez en l’air que sur mon ouvrage. Par moment, je le lâchais même pour mettre un long baiser sur ta mine souriante, qui avait l’air de me remercier.

23 heures – Suite de ma lettre
Mon chéri, Figure-toi que j’étais en train de t’écrire tout à l’heure lorsque retentit tout-à-coup l’alarme des pompiers signalant les zeppelins. A peine ce signal donné, trois énormes détonations suivirent et tout à côté d’ici ; où est-ce, je l’ignore ! Toute la maison est en révolution. Mon père, à peine les détonations, m’oblige à descendre à la cave. Tu penses si c’est rigolo. J’avais le porte-plume à la main et je terminais la quatrième page de ma lettre. J’ai saisi prestement toutes tes lettres éparses sur la table et je les ai vivement rangées. Tant qu’à celle que j’étais en train d’écrire dans ma précipitation, je l’ai descendu avec moi (elle était dans ma poche de manteau). Aussi, dans l’angoisse, ne sachant ce qu’il se passait, ahurie par les pompiers et par leurs trompes, me gelant dans un couloir en bas, je l’ai un peu froissée. Comme je l’ai pressée ! Je me disais que s’il m’arrivait quelque chose, j’aurai encore le bonheur d’avoir une pensée de moi pour toi.

IMG_1089

Je suis restée environ 1h1/2 assise sur les marches de l’escalier, près de la loge de la concierge. Tous les locataires étaient assis en gradins, presque jusqu’au premier. Tu vois d’ici si c’était charmant et depuis 10 heures, jusqu’à 11 heures, il n’est passé que des autos de pompiers se dirigeant dans la rue de Charonne. C’est de ce côté que nous avons entendu les trois détonations successives et je t’assure que cela a fait un beau vacarme.

Maintenant je suis remontée à la maison et je continue tranquillement ma lettre espérant que ce n’est pas encore aujourd’hui que je recevrais une bombe sur la tête.

C’est je crois la première fois que je t’écris à minuit. Heureusement que c’est arrivé maintenant, si tu avais été à Paris, j’aurais été plus inquiète.

Tout à l’heure, il n’y avait plus assez d’autos pour les pompiers, ils ont repris bravement leurs anciens chevaux. Quelle débacle !

Je ne vois plus rien à te dire pour ce soir, demain j’aurai peut-être des nouvelles et je continuerai encore ma lettre. Je vais attendre que les pompiers reviennent pour aller me coucher. A demain et mille doux baisers de celle qui a bien pensé à toi en étant assise en bas.

Germaine

Dimanche 30 Janvier 1916 – 9 heures,
Mon petit Loulou chéri,

Quelle salade je fais avec mes lettres ! Tu ne vas plus t’y reconnaitre. Moi qui te disais que j’allais faire une longue réponse, j’étais loin de me douter de dire di vrai. Et j’étais encore plus loin de penser que je serai dérangée par les zeppelins. Maintenant, Paris a retrouvé son calme habituel.

30-01-16 zeppelins

Malgré tout, les journaux de ce matin sont tous d’accord en annonçant beaucoup de dégâts. Il y aurait 16 morts et 32 blessés. 13 bombes auraient été lancées. On ne dit pas dans quel quartier, mais d’après les renseignements, c’est surement du côté de Charonne. Ce qu’il y a de plus drôle, c’est que l’on ne sait pas si c’est 1 ou 2 ou 3 et même 4 zeppelins qui ont survolé Paris. Pour moi, mon émotion est passée. Après avoir terminé ma lettre hier soir, je me suis couchée et j’ai dormi comme si de rien n’était. Tu excuseras la manière fantaisiste avec laquelle j’écris et tu excuseras aussi le griffonnage. Je termine toutes ces lettres en t’envoyant mes plus tendres baisers, Germaine

Je suis honteuse de t’envoyer un pareil griffonnage, mais étant écrit une nuit d’attaque de zeppelins, cela aura peu de valeur.

29-01-16

Creative Commons License