Petit chien

Paris, Le 17 Septembre 1915

Mon chéri,

Comme je te l’ai dit hier, j’ai été voir Madeleine chez Madame Sut.

J’ai eu le plaisir de la trouver. Elle ne retourne pas à Cayeux, son séjour à la mer est terminé.

Comme je m’en doutais, j’ai tenu le rôle de consolatrice des affligés. A présent, elle demande les permissions à grands cris et se désole du retard apporté à celle de Robert. Je l’ai consolé du mieux que j’ai pu.

Il est survenu une histoire très amusante chez Madame Sut. Ce n’est pas très intéressant mais cela t’amusera tout de même. Ecoute : Cette dame avait depuis le matin reçu comme cadeau un amour de petit chien, non pardon une petite chienne qui a à peine six semaines. Et elle cherchait parmi nous toutes qui en serait la marraine. Pour obtenir cette place, il fallait trouver un très joli nom. Pour ma part, cela a été vite fait, comme tu dois le penser, j’ai dit Folette. Lui ayant fait une friction à l’eau de Cologne, (non plus Cologne, ce nom affreux, mais Pologne) la place me revenait de droit.

eua-pologne

Trois personnes étaient pour Folette, mais Madeleine qui n’a jamais les mêmes idées comme tout le monde voulait Bobet. Après elle voulait Coquette. Comme tout le monde se disputait, nous avons voté, mais il y a eu ballotage. Je voyais presque avec joie que j’allais obtenir Follette. Quand tout à coup, Madeleine se met à dire “Si cette bête s’appelle Folette, jamais je n’y toucherai !”. Merci monsieur, comme tu dis si gentiment. Je n’ai pas insisté, ce qui fait que la chienne n’a pas de nom.

En rentrant, j’ai eu la délicieuse surprise de trouver ta lettre du 13. Tu me dis que j’ai été une éternité à t’écrire et que si tu restais quatre jours sans m’écrire que je te gronderais sûrement. Je ne suis si méchante que cela, mais je ne te gronderai jamais parce que tu ne resteras jamais si longtemps sans m’écrire. Je reconnais en effet que j’ai eu tort de ne pas t’écrire, car mon pauvre petit Loulou chéri s’est inquiété à cause de moi, mais ce n’était pas tout à fait de ma faute, j’en voulais à mon père et quand j’en veux à quelqu’un, ce n’est pas pour rire. C’est donc de la faute à mon vilain caractère. Mais je sais bien que mon petit chéri ne m’en voudra pas pour cela, aussi, pour lui faire oublier, j’ajoute pour ma dette personnelle 10 gros baisers comme récompense. J’espère que tu accepteras.

Tu me demandes si j’ai reçu tes photos ? Oui mon petit chéri. J’en ai six des petits formats. Elles ne jaunissent pas du tout, elles sont toujours aussi nettes que lorsque tu me les as envoyées. Il faut dire qu’elles ne sont pas à l’air. Elles sont dans mon petit carnet avec mes pensées. Il y a que celles où tu es au téléphone qui est dans ma chambre, mais comme elle est dans un cadre, elle ne s’abime pas. J’ai pareillement celle que tu as fait faire à St Menehould.

lucien-telephone

Je vais terminer ce long griffonnage car la place me manque. En espérant que cette lettre te trouver au coin de ton feu et en bonne santé, reçois, vestale de mon coeur, mille doux baisers.

Ta petite fiancée qui t’adore,

Germaine

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