Visite de Madame Peuvrel

Paris, le 9 août 1915

Un nom cher fut gravé sur une écorce frêle
L’arbre aujourd’hui a cent fois verdi
Vois sur le tronc rugueux les lettres ont grandi
Tel est mon cœur aimant ton souvenir fidèle

Mon petit chéri,

J’ai reçu ta lettre du 1er août qui m’a été envoyée de St Quay. A part celle-là, je n’ai rien reçu venant directement ici.

Hier il m’est arrivé une aventure des plus drôles. J’étais invitée ainsi que mon père à déjeuner chez Madame Peuvrel mon ex-gardienne à Cayeux. Figure-toi qu’à table je tremble le treize qui est après mon bracelet c’est à dire notre treize dans mon assiette. Aussitôt Mme Peuvrel me fait remarquer que cette breloque serait beaucoup mieux à ma chaine de cou ; et sans plus se gêner elle tire sur ma chaine. Tu parles quel saut en arrière j’ai fait. De là, très intriguée, elle insiste. Moi je refuse et nous en restons là. Mais je trouve un moment pour m’éclipser et je défais prestement mon médaillon que je mets dans la poche de ma ceinture. De là je reviens la trouver dans sa chambre et je lui propose de l’aider à mettre ses bottines. Je suis donc forcée de me baisser. Elle la dessus sans me prévenir attrape ma chaîne, juge sa tête. Quelle déception ! Je me suis bien amusée à bon compte. Voilà ce que c’est d’être trop curieux.

J’espère que tu es toujours en bonne santé.

En attendant une gentille lettre de toi, je t’envoye mon petit chéri mille doux baisers.

Ta petite fiancée qui t’adore,

Germaine

 

Au verso

Monsieur Lucien Sevette
Caporal téléphoniste (C. H. R. A.)
128e régiment d’infanterie
Secteur postal 118

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