Censure et petites photos

Paris, Le 17 Août 1915

Mon Loulou adoré,

J’ai reçu hier deux gentilles lettres de toi. Celle du 10 et celle du 11.

Dans la première, tu t’amuses de mon malheur, car d’avoir des coups de soleil, cela n’a rien de charmant. Si tu es jaloux du soleil, je ne te plains pas car c’est toi le premier qui m’en a souhaité. Tant qu’aux marques roses dont tu fais allusion, je les préfère de beaucoup à celles pains d’épices. Premièrement elles durent moins longtemps ; secondement elles font moins mal. Enfin, cela commence à disparaître. Heureusement, je crois même que tu ne t’en apercevras pas lorsque je te reverrai.

bain-de-mer

Ta lettre du 11 est celle qui a passé à la censure. Je l’ai reçu cachetée. Quel invention ! Après un an de guerre, il est temps. Cela est agaçant de savoir que ce que tu m’écris est lu par un étranger, il a pas besoin de savoir ce que tu me dis. Qu’il s’occupe donc de ses affaires celui-là ! S’il a envie d’un livre, il a qu’à le dire. Je pourrais toujours lui en envoyer un, cela le distraira.

J’avais bien vu dans les journaux un article à ce sujet, mais cela avait été rectifié le lendemain en disant que cette mesure serait appliquée plus tard. Ton régiment est peut-être à part. Ta réplique sur l’économie de salive a fort amusé mon père qui a même trouvé drôle que cette lettre me soit parvenue. Il manquerait plus que ça alors ! Cette lettre était munie d’un superbe cachet du commandant colonel.

Assez parlé de cette invention idiote. J’ai reçu ce matin les photos dont je t’ai parlé. C’est microscopique et très mal fait. Enfin, cela te fera toujours plaisir et te fera passer un bon moment.

Lorsque cette jeune fille nous a photographié, je n’aurai jamais cru que ses photos auraient été si petites. De plus, en les développant, elle a du remuer son papier ce qui fait qu’elles sont toutes brouillées, excepté le numéro 1. C’est d’ailleurs celle-là la mieux. Les personnes qui sont sur ces photos sont les mêmes que la dernière que je t’ai envoyé.

Dans le numéro 1, je suis la première à gauche.

stquay 1Dans le numéro 2, nous sommes sur un rocher à pic, à l’entrée d’une grotte qui se trouve à gauche. Là, je fais le salut militaire.

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Le numéro 3 qui était le plus amusant et le plus original est le lavement des pieds. Je suis la troisième en commençant par la gauche aussi bien que par la droite. J’ai même le pied en l’air.

stquay 2

Derrière nous, c’est un gouffre et au loin la mer. Malgré que tout cela soit très petit, on peut voir combien ce pays est joli. Il y avait une quatrième mais elle est sans doute trop ratée car on ne me l’a pas envoyé. Je crois qu’il serait sage que tu prennes une loupe, si tu en as une.

J’espère que tu es en bonne santé et que les orages ont passé ou tu es.

En attendant de tes bonnes nouvelles, je t’embrasse mon bien aimé, aussi tendrement que je t’aime,

Germaine

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