Arrivée à St Quay

Hotel Central, St Quay Portrieux, Côtes du Nord, Le 12 juillet 1915

Mon cher petit Loulou,

Je suis arrivée ce soir à 7h40 à St Quay. Nous devions prendre un train du soir à Paris, mais le médecin a défendu à cause de mon père.

J’ignore si le pays est beau et si la plage est de même. Je suis trop fatiguée, penses depuis 5 heures du matin que je suis debout, aussi en arrivant je n’ai pas eu la curiosité d’aller regarder la mer. Je l’ai aperçu et c’est tout. J’ai rangé mes affaires de ma malle et ma foi après avoir dîner je me suis mise au lit et c’est là que je t’écris aussi tu ne feras pas attention au style.

Il y a si longtemps que je n’ai pas eu le plaisir de t’écrire. Avec ce déplacement j’ai été fort occupée, mais je crois que tu n’as pas dû trop t’inquiéter ma dernière lettre étant du 9. Je ne veux pas m’endormir quoique l’envie ne me manque pas, sans griffonner une longue lettre à mon aimé, d’ailleurs rien que de penser à toi, je ne suis plus fatiguée.

Mon petit chéri, je crois qu’il n’y a pas une journée où j’ai tant pensé à toi pourtant j’y pense sans cesse. J’ai pensé à chaque tour de roue que je m’éloignais de toi et que un an en arrière à quelques jours près j’avais le bonheur de voyager avec toi, mais si peu de temps, les heures sont si courtes près de toi. Là au moins cela en aurait valu la peine. Dans le train je faisais celle qui dormait, mais c’était pour cacher mon envie de pleurer. J’aimerai tant aller avec toi, août près de toi, loin loin, très loin. Il n’y a rien qui me grise comme le chemin de fer marchant à une allure folle, voir les maisons, les arbres, les champs danser autour de moi. Voilà que je rêve avec toi.

Ce qui me faisait mal au cœur, c’est que j’avais à coté de moi un jeune soldat, dans mon rêve je te mettais à sa place. Quelle différence ! Celui-là était un joli embusqué bien pomponné et se gobant je ne dis que ça, faisait des manières et se moquant des autres soldats qui revenaient du front en permission. Tandis que toi, tu es si gentil et tu as tant de mérites. Comme je voudrais que tu aies une permission, te revoir, j’en meurs d’envie. Te contempler, admirer tes jolis traits, voilà ce que je désire le plus au monde.

Je ne voulais pas retourner à Cayeux de peur de trop me rappeler de mes souvenirs. Je m’aperçois qu’ici malgré que tu n’y sois jamais venu c’est la même chose. La vie étant la même, les moindres détails me font souvenir Cayeux. Et que malgré que je sois à 1.000 kilomètres de toi, ma pensée et mon cœur sont encore plus près de toi. Dans notre train il y avait beaucoup de soldats, les uns en permissions du front les autres partaient rejoindre leurs corps dans leur dépôt. Quelle modestie de la part de ceux qui reviennent des tranchées. Il y avait un du 128e qui partait au dépôt. Je lui ai parlé de toi, mais il ne te connait pas.

Je termine cette missive plutôt barbouillée en t’envoyant mon adoré mille baisers de St Quay,

Germaine

12-07-1915

 

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