Je reviens à la réalité

Paris, Le 24 Février 1915

Mon brave Loulou,

D’après ta lettre que je viens de recevoir, te voilà de nouveau sur le front, et pas bien loin d’où tu étais avant.

Cette lettre, mon chéri, m’apporte bien des inquiétudes puisque tu es en danger. Ces temps derniers, te sachant au repos, je vivais en égoïste, je me berçais d’illusions et de rêves, et j’oubliais un peu la guerre, mais à présent, je reviens à la réalité et je reprends tout mon courage de petite fiancée (courage qui a déjà été mis un peu à l’épreuve).

J’ai si confiance en notre avenir, qu’il serait très mal de ma part de me décourager, d’ailleurs tu es un exemple, tu es si brave, tu ne t’es jamais plaint ; que j’aurais honte de paraître à tes yeux moins courageuse que toi, surtout que de nous deux, c’est toi le plus malheureux. Tu es privé de tout, tandis que moi, je ne suis privée que de toi, ce qui est déjà beaucoup tu sais ?

La réception de ta lettre a été assez comique. Tu vas en juger par ce qui suit.

Par un fait du hasard, j’ai reçu ta lettre à 8 heures du soir, ce qui ne m’était jamais arrivé depuis le commencement de la guerre. Ce fait particulier n’a pas empêché un accueil des plus chaleureux.

Donc à 8 heures du soir, cette lettre m’a été donné en présence de mon père. Je prends connaissance du contenu et apprenant que tu étais à Wargemoulin, je prie mon père de chercher cette localité près de Somme-Tourbe sur la carte. J’aurai voulu que tu voies avec quel empressement il a démoli tous ses drapeaux pour me montrer cette ville ; mieux que ça, avec une loupe, il m’a expliqué tous les combats qui se sont déroulés à cet endroit.

Après cette leçon de géographie, il m’a causé un peu de toi, ce qui m’a fait grand plaisir, mais ses questions étaient banales. Il paraissait très content, je l’étais bien d’avantage à part cette idée que tu étais au feu, j’aurais été très heureuse.

En attendant une lettre qui maintenant seront plus espacées, je t’envoie mon chéri beaucoup de baisers afin de te réchauffer dans ta tranchée.

Ta petite fiancée qui t’aime bien fort,

Germaine

 

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