Caporal

Paris, le 29 Janvier

Mon bien aimé,

Avec quelle joie j’ai reçu ta gentille lettre du 27, m’annonçant ta nomination au grade de caporal, je suis très heureuse de cette nouvelle et je viens t’adresser tous mes compliments et toutes mes félicitations. Comme je suis fière de toi maintenant et aussi très fière d’être aimée d’un gentil caporal.

Tu es si aimable et si sympathique que tu dois être aimé de tes chefs ; tu dois remplir ton service avec tant de zèle, que cette nomination ne m’étonne pas du tout. J’en ai fait part à mon père, qui a eu l’air très content.

Tu as dû passer une bien mauvaise journée, jeudi dernier, car cette piqure est parait-il très douloureuse. Elle a son bon coté puisqu’elle protège contre la fièvre typhoïde, maladie qui doit s’attraper facilement dans les tranchées.

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Le Petit Parisien 13/01/1915

Si tu as passé une mauvaise journée, pour moi elle a été excellente, car je l’ai passé avec Madeleine. Cette pauvre Madeleine commence à aller mieux, mais elle a eu la grippe et un fort mal de gorge, elle est restée plusieurs jours sans pouvoir parler. Heureusement hier elle avait retrouvé sa voix et nous avons pu bavarder comme deux pies. A ma grande joie, nous avons causé de toi toute la journée, même je peux te dire, plus de toi que de Robert.

J’ai appris à Madeleine tes projets. Tu ne m’en voudras pas de cette indiscretion j’espère ? cela fait du bien d’épancher son coeur, dans un coeur ami, de pouvoir causer de l’aimé, de pouvoir prononcer son nom à quelqu’un qui le connait, et qui me comprend très bien puisqu’elle est elle-même fiancée.

Elle m’a raconté une foule d’histoires très amusantes, te concernant. Tu peux croire que je ne me suis pas ennuyée, je n’ai fait qu’éclater de rire, cela m’est un peu permis maintenant que tu es loin de tout danger.

Le surnom de ton frère “Boubouille” m’a surtout amusé, car je ne pouvais jamais m’en rappeler et je disais “Doudouille” ce qui faisait mourir de rire Madeleine.

Une histoire de fer à friser à froid m’a tellement fait rire que j’en avais mal au cou. Ta pauvre cousine Yvonne n’avait vraiment pas de chance, elle qui voulait se friser pour plaire !

Puis un tas d’autres histoires plus comiques les unes que les autres qui m’ont très intéressé puisqu’on parlait de toi dans toutes ; mais que je ne peux te citer faute de place.

Je lui avais apporté un petit carnet refermant le caractère des personnes par la date de naissance. Ce carnet nous a vraiment amusé par ses réponses. Pour toi, la réponse était véridique. Voici ton caractère en peu de mots, comme tu peux le voir : Beau caractère, grandeur. Ce qui est très vrai. Le peu de temps que j’ai passé avec toi m’a permis de voir combien tu avais bon caractère. Ensuite par tes lettres, je vois combien tes idées sont grandes et nobles.

Pour moi, la réponse était plutôt bête : Talents oratoires, Madeleine : Amis intéressés, Robert : vivront 87 ans.

Tu vois que j’ai passé une bonne journée ? A part ton absence, j’aurai été complètement heureuse. Je termine ce griffonnage en t’envoyant, mon gentil caporal, mes baisers les plus tendres et les plus doux, de ta petite fiancée qui t’aime et qui est fière de toi.

Germaine

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