Capitaine de Football

Paris, le 27 Janvier 1915

Mon bien aimé,

C’est une grande coupable qui t’écrit. Figure-toi qu’hier, j’ai reçu deux lettres de toi, et je n’ai pas répondu ! Pour parler franchement il m’a été impossible d’y répondre faute de temps. J’ai eu toute la journée prise à faire diverses courses, je croyais rentrer de bonne heure afin de t’écrire ; mais malheureusement je suis rentrée très tard et la lettre de mon Loulou a été remise à mon grand regret à aujourd’hui.

Je sais bien que tu ne m’en voudras pas, tu en es d’ailleurs incapable, m’aimant comme tu m’aimes, tu ne peux me faire de reproche. Mais j’ai peur que tu te soies ennuyé sans lettre de moi, aussi je m’en veux beaucoup. Je vais tâcher de réparer ma faute en t’écrivant une longue lettre, bien serrée.

J’ai reçu ce matin encore une lettre de toi avec grand plaisir, aussi cela me fait maintenant trois lettres à répondre.

Dans la 1ère, tu prétends qu’à ton retour, tu seras féroce et que tu crains de me dévorer…de baisers. Douce perspective ! qui ne me déplait pas, bien loin de là, j’en suis ravie. D’ailleurs après être restée sevrée de tes baisers pendant bien longtemps, je te laisserai avec bonheur la permission d’en prendre tout à ton aise, ils seront, soit sans crainte, très bien rendus. Donc je ne crains pas la férocité ! Je te donne la liberté d’en tenter l’épreuve. Je vois aussi dans cette lettre que tes repas sont assez bien soignés. Tant mieux, j’en suis très contente pour toi.

Dans ta seconde lettre, tu me parles de ton frère. Inutile de me dire qu’il est gentil ; je me doute bien qu’il tient de son aîné. Quand on a dans sa famille une perle comme toi, les parents sont forcés de lui ressembler. Si je ne le connais pas, j’en ai déjà beaucoup entendu parler par Madeleine ainsi que de tes parents et de ta soeur. Je sais que ton frère s’appelle Pierre et ta soeur Suzanne, tu vois, je connais ta famille. Grace à Madeleine.

En lisant ta lettre, je n’ai pu m’empêcher de rire à ce passage : “… il a 17 ans et est capitaine…” je me suis dit cela tient du prodige être capitaine à cet âge-là ; mais lorsque j’ai terminé la phrase et que j’ai lu “de foot-ball”, j’ai éclaté de rire en disant : “C’est bien des tours à mon Loulou”. Tu es vraiment amusant. J’espère comme toi qu’il ne partira pas, c’est assez de soucis pour tes parents d’en avoir déjà un.

Dans ta troisième lettre, celle de ce matin tu me dis être sans nouvelle de moi ; ce qui fait que je m’en veux doublement de ne pas t’avoir écrit hier. Tu vas encore t’ennuyer. Pourtant ma pensée est toujours avec toi, lorsque je ne t’écris pas, dis-toi bien ceci, que je suis encore plus malheureuse que toi, car sachant que tu t’ennuies, je m’ennuie aussi. Quand je ne t’écris pas, c’est que je ne peux pas.

J’ai reçu par le même courrier de ce matin une lettre de Madeleine m’invitant à venir passer la journée de demain avec elle, puisqu’elle ne peut pas sortir. Elle a attrapé froid à la gorge et le docteur l’oblige à rester chez elle. Quelle bonne journée je vais passer près d’elle ! Robert Sut est au repos à Lisle-en-Barrois, près de Bar-le-Duc ; c’est sans doute pas loin d’où tu es.

J’espère que ta santé est toujours bonne, tant qu’à moi, je vais mieux que ces temps derniers. J’espère que ma lettre rachètera la faute commise hier. En attendant de tes bonnes nouvelles qui me font toujours grand plaisir, je termine sans oublier de couvrir de baisers ta figure chérie.

Ta petite fiancée qui t’aime tendrement,

Germaine

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