Vente du petit drapeau Belge

Paris Le 19 décembre 1914

Mon cher Loulou,

Je viens de trouver ce nouveau nom qui te va très bien, et qui est plus intime que Lucien, c’est un dérivé. Tu me diras s’il te plait. Moi j’adore ce nom-là, c’est si doux. Donc mon Loulou chéri à l’occasion de Noël, je m’empresse de t’envoyer tous mes meilleurs voeux de bonne santé et tous mes souhaits de chance ainsi que ton prochain retour.

humanite-1914-11-14-copieJe t’ai envoyé un petit colis, l’as-tu reçu ? Il est parti un peu en avance, samedi dernier 12. Pas par la poste, mais par le bureau central rue Bouloi. La poste ne prend pas au dessus d’un kilo. Je crains qu’il te soit parvenu en mauvais état, car j’ai assisté au rangement des colis qui sont jetés de mains en mains. Donc trouve un moyen de me faire savoir tout cela sous-entendu. Papa ne voit pas tes lettres en ce moment, mais il ne suffit que d’une fois. Met par exemple que tu as eu le bonheur de faire un soupçon de réveillon et décris ce que tu as mangé. Comme cela je saurai si tu as reçu le colis. Tâche de te distraire un peu. Je te demande de me raconter dans une longue lettre ta nuit de Noël, cela me fera grand plaisir.

Je suis désolée, figure-toi que demain dimanche on vend à Paris et dans toute la France le petit drapeau belge au profit de nos amis les Belges. La dame dont je t’ai parlé dernièrement m’avait offert d’en vendre. Mon père a refusé net, prétextant une invitation (qui n’existe pas). Je ne suis pas contente ! moi qui me faisait une joie de cette vente, où j’espérais rapporter encore plus que la dernière fois. Faire du bien aux Belges, c’est notre devoir. C’est grâce à eux que la France n’a pas été envahie plus tôt. Que serions nous s’ils ne s’étaient pas opposés aux allemands. Aussi je suis mécontente. Cette histoire ne doit pas t’intéresser énormément, aussi je passe à une autre plus drôle. Cette nuit, j’ai fait un beau rêve.

“Tu étais de retour mais blessé au bras droit et j’étais chargé de te soigner. Je t’assure que tu étais bien soigné, et que ton bras fut vite guéri. Tu recevais plus de baisers que de médicaments”.

Mais tout à coup j’étais tendrement dans tes bras, j’entends chanter à tue-tête “Pan, pan, pan, pan Larbi les chacals sont pas ici“. C’était les soldats de la classe 1915 qui fêtaient leur départ. Ils auraient pu prendre une autre rue, afin que mon rêve dure plus longtemps. Depuis hier, il y a des départs. Ils partent vraiment gais ces pauvres garçons et hier soir à neuf heures et demi, lorsque je les ai entendu chanter la Marseillaise, je n’ai pu m’empêcher de me mettre au balcon, et de les applaudir ; les larmes dans les yeux car je pensais à toi. Je leur en veux tout de même un peu de m’avoir réveiller au plus intéressant de mon rêve.

Si tu peux, écris-moi plus souvent, car en ce moment je n’ai de tes nouvelles qu’une fois la semaine. En espérant que ma lettre te trouvera en parfaite santé, je t’envoie mon petit Loulou pour ton Noël mille doux baisers comme ceux que je te donnais un soir de juillet.

Celle qui t’aime toujours autant qu’à ce moment-là, même plus,

Germaine

Excuse le griffonnage, il est trois heures et je ne vois pas clair. Quel temps !

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