Au feu !

Paris, Le 22 décembre 1914

Mon Loulou chéri,

Je viens de recevoir ce matin une lettre de toi du 19 décembre, qui m’a fait grand plaisir. Après cette joie, quelle émotion j’ai eu ! Pense donc le feu dans la maison. J’en suis encore toute malade d’avoir entendu ces cris de “Au feu, au secours”, au point que j’ai du mal à rassembler deux idées suivies. Voici comment c’est arrivé.

pompiersCe matin vers dix heures, j’entends tout à coup des cris dans l’escalier et un bruit sourd comme quelque chose qui éclate. Je me précipite dans l’escalier pour voir ce qu’il y avait et je me trouve environnée de fumée au point de ne pouvoir respirer. J’entends crier “Au feu” puis un charivari. C’était les personnes du 7e qui descendaient ne pouvant respirer. Je leur demandais à quel endroit le feu avait pris. Il me dirent que c’était au 4e (nous habitons au second) et que le plancher était en flammes. Là-dessus je me mets à crier. “Que quelqu’un aille prévenir les pompiers, vite dépêchez-vous”. J’y aurais bien été moi-même, mais j’étais en peignoir. Je ne savais que ces mots là “Les pompiers ! vite les pompiers”. J’avais perdu la parole, mais je n’avais pas perdu la tête. Et en voyant des messieurs se porter au secours, je me mis à réfléchir que les personnes qui habitent cet appartement n’étaient pas là et qu’il n’y avait que la bonne et le bébé. Une personne venait de la prendre chez elle. Pauvre petit, il pleurait de voir tout ce monde, mais il ne comprenait pas grand chose à tout cela. Enfin la concierge avait été à l’avertisseur et au loin j’entendais la sonnerie des pompiers. Des messieurs de la maison s’étaient portés au secours de la bonne qui était environnée de flammes et avaient éteint avec des seaux d’eau le plus gros. Enfin les pompiers sont arrivés à mon grand soulagement et après une demi-heure de travail tout était éteint.

Quelle imprudente que cette bonne, elle avait rempli sa lampe à essence à coté de son fourneau à gaz, la bouteille lui ayant échappé des mains se cassa et le contenu se répandit sur le fourneau ce qui provoqua une explosion. Les dégâts sont peu importants, à part la cuisine où tout ce qui était en bois a brulé.

Pense quelle peur j’ai eu ! Je savais bien qu’il n’y avait pas grand danger mais ces mots de “au feu” font quelque chose.

Revenons à ta lettre. Je remercie beaucoup ton camarade Charles de son bonjour, tu lui souhaiteras la même chose et tu lui diras en même temps que son haut de forme est plus de saison que son canotier de paille, mais que c’est vraiment trop d’honneur pour ces idiots de Boches.

Tant qu’à Robert Sut, je le remercie aussi de son bonjour, mais je n’ai pas eu le plaisir de faire sa connaissance. Je le connais très bien car je l’ai vu souvent l’année dernière à Cayeux avec Madeleine. Deux cabines nous séparaient  de celle de Madeleine. Mais ne la connaissant pas, elle ne pouvait me présenter à son fiancé. J’espère faire sa connaissance bientôt. Je vais voir Madeleine jeudi, je pourrais lui communiquer toutes ces bonnes nouvelles. Quelle belle journée nous allons passer ! à causer de vous deux.

J’ai reçu aussi ta carte avec ta nouvelle adresse. Si seulement les lettres parvenaient plus vite. Enfin espérons-le car en ce moment je ne reçois de tes nouvelles qu’une fois par semaine.

J’espère que cette lettre te parviendra et te trouvera en bonne santé. Quant à moi l’incident de ce matin m’a tellement retourné que j’ai une migraine qui se pose un peu là. Je n’en vois plus clair. Tu recevras cette lettre peut-être pour Noël, aussi je la charge de t’apporter tous mes meilleurs souhaits de bonne chance et de bonne santé. Ce que je souhaite surtout c’est que la guerre finisse bientôt.

En attendant de tes bonnes nouvelles je t’envoie mon chéri tous mes plus tendres baisers. Reçois-les de celle qui pense qu’à toi,

Germaine

PS : J’aurais voulu terminer les huit pages mais j’ai trop mal à la tête. Tu m’excuseras. Je t’embrasse tendrement,

Germaine

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