Cache-col, passe-montagne et cigarettes

Paris, Le 3 novembre 1914

Mon tendre chéri,

Tu vas peut-être trouver drôle que je prenne la liberté de t’adresser ce tout petit paquet. Mon cher petit Lucien, je souffre vraiment lorsque je pense que tu n’as peut-être rien de chaud à te mettre en ce moment.

Je sais bien que tes parents doivent être aux petits soins pour toi et doivent t’adresser grand nombre de colis qui doivent contenir j’en suis persuadée de plus belles choses que le mien. Mais de moi alors tu n’aurais rien ! Rien de celle qui t’aime. Ce peu que je t’envoie c’est le don de mon cœur et je suis toute heureuse de penser que ce petit paquet si modeste soit-il t’apportera quelques douceurs et te fera oublier pour quelques instants la vie si tourmentée que tu mènes en ce moment. Il te montrera aussi combien je t’aime et je pense à toi et combien je suis soucieuse de ta santé.

D’ailleurs je ne fais que mon devoir, à Paris il y a beaucoup d’âmes charitables qui se font un immense plaisir de procurer à nos chers soldats des vêtements pour les préserver du froid. Aussi je les imite et comme tu es celui que j’aime le plus au monde c’est à toi que reviennent ces maigres choses de droit.

Tu me disais dans une de tes dernières lettres que c’était surtout la nuit que tu souffrais du froid, je me suis bien vite procurée de la laine et je me suis mise à te tricoter un cache-col. Tu ne regarderas pas à la beauté ni à l’élégance, seulement à la chaleur. J’ai fait le point le plus serré possible afin que l’air ne passe pas à travers les mailles. Je crois que la quantité de baisers que j’ai déposé en le faisant empêcheront tout à fait que tu attrapes froid.

Tu trouveras aussi ci-joint un passe-montagne qui te rendras je crois de grands services car il empêchera le vent de pénétrer dans ton cou et dans tes oreilles et te laissera la liberté de pouvoir mettre ton képi. Le cache-col mis sous ta tunique te tiendra très chaud au cou et à la poitrine si tu as soin de le croiser.

J’arrive maintenant aux cigarettes choses je crois qui te fera le plus plaisir. Lorsque j’ai reçu ta lettre dans laquelle tu me disais que c’était un supplice pour toi de ne pouvoir fumer faute de cigarettes, j’étais vraiment désolée car il y a longtemps que je voulais t’en envoyer mais je n’osais pas. Je t’en enverrai le plus souvent possible car je sais qu’elles seront toujours bien accueillies.

Les gants je les ai pris au petit bonheur, ils seront sans doute trop grands ou trop petits mais que veux-tu, à la guerre comme à la guerre.

Maintenant, j’ai une grande recommandation à te faire dans aucune de tes lettres ne me cause pas de ce paquet, j’ai fait le tricot en cachette et j’envoie le paquet de même. Comme mon père voit quelques unes de tes lettres, inutile qu’il le sache.

Si ce paquet arrive, tu m’écriras simplement « je suis plus heureux maintenant car j’ai retrouvé mes chères cigarettes » ou quelque chose dans ce goût-là, je saurais ce que cela voudra dire et ce sera le plus beau remerciement que tu pourras m’adresser.

Je te demande seulement de penser un petit peu à moi lorsque tu fumeras une de ces cigarettes.

J’oubliais de te dire impossible de joindre des allumettes, c’est interdit par la poste en cas d’incendie. Dans ta compagnie, tu dois sans doute avoir un camarade qui possède un briquet.

Dans l’espérance que ce paquet te parviendra et te trouvera toujours en bonne santé et en attendant de tes bonnes nouvelles, reçois mon petit chéri mes plus tendres baisers de celle qui t’aime pour la vie.

Germaine

Creative Commons License